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la force de cette nation désarmée et suppliante, qui n’attend que de l’attitude de sa muette douleur la restauration de ses droits ? L’influence de la revendication polonaise agit puissamment sur la Russie. On assure que le tsar n’est point éloigné de rendre à la Pologne les institutions que le traité de Vienne lui avait garanties ; mais de son côté aussi la Russie a reçu la contagion libérale. L’empereur Alexandre comprend que le jour où un gouvernement constitutionnel sera rendu à la Pologne, il sera impossible de refuser un gouvernement semblable à la Russie. La cour de Saint-Pétersbourg trouve que c’est assez pour le moment d’avoir sur les bras cette affaire de l’émancipation des serfs, qu’elle a noblement entreprise, et qu’elle voudrait avant tout mener à fin. Il y a là peut-être une timidité qui calcule mal les nécessités politiques du moment. Ne doit-on pas à la noblesse russe une compensation de l’abolition du servage, et la compensation la plus naturelle, la plus logique, la plus honorable, n’est-elle point l’élévation des classes propriétaires et éclairées à la liberté politique ?

Le mouvement des nationalités qui, sur tant de points, autorise d’heureuses espérances a sa note dissonante dans cette chicane sempiternelle engagée entre l’Allemagne et le Danemark à propos du Holstein d’abord, et subsidiairement du Slesvig. La diète holsteinoise d’une part a rejeté les concessions que lui offrait le gouvernement danois ; de l’autre, le délai de six semaines que la diète germanique avait accordé au Danemark est expiré, et la diète, dans la première séance après les vacances de Pâques, devra s’occuper des mesures relatives à l’exécution fédérale. Nous n’avons plus à parler du fond de cette fâcheuse question : nous n’examinerons pas si l’interprétation littérale des traités donne raison à l’Allemagne contre le Danemark à propos du Holstein. Ce qui est constant, c’est que le Danemark est plus libéral que les hobereaux du Holstein, ses adversaires. Les délais prescrits par les lois de la confédération germanique retarderont encore quelque temps l’exécution fédérale. Les ministres anglais ont dit dans le parlement que ces délais pourraient ajourner à six mois un regrettable conflit entre le Danemark et l’Allemagne. Nous craignons que, malgré les lenteurs allemandes, la situation actuelle ne puisse être prolongée encore plus de trois mois. Espérons que ce temps sera mis à profit et permettra d’arriver à un arrangement amiable.

Mais qu’est-ce que cette querelle ingrate de la vaste Allemagne et du petit Danemark auprès de la crise qui partage en ce moment les États-Unis en deux confédérations ? — Dans cette révolution américaine, une première épreuve est heureusement traversée. L’inauguration du nouveau président, M. Lincoln, a pu se faire paisiblement à Washington malgré toutes les prédictions qui avaient annoncé que cette cérémonie serait traversée ou empêchée par la violence. M. Lincoln a reçu au Capitole le pouvoir présidentiel des mains de son prédécesseur. Le lendemain, M. Buchanan partait pour son domaine. Arrivé à Lancaster, l’ancien président a prononcé quel-