Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les hommes qui partagent la même opinion éprouvent le besoin de se rapprocher matériellement, de se grouper sur les mêmes bancs, de former un faisceau par lequel chacun se sent soutenu dans le débat et dans le vote. C’est ce qui est arrivé cette année dans le corps législatif. On y a vu surtout les défenseurs les plus décidés du pouvoir temporel du pape se rapprocher et s’établir dans la même partie de la salle. Une droite s’est formée. Un ministre a eu beau dire qu’il ne pouvait y avoir dans le corps législatif ni droite, ni centre, ni gauche, dans le sens qui s’attachait à ces désignations sous de régime parlementaire : on ne peut aller contre la nature des choses, on ne peut empêcher ceux qui pensent de même de se réunir dans un même groupe. Il faut prévoir que ce rapprochement matériel, qui a une cause toute morale, produira à son tour des conséquences politiques qui ne seront pas moins naturelles. Après avoir été réuni par les idées, on prendra l’habitude de concerter les conduites ; on se constituera et on agira en partis. La force des choses n’est-elle pas plus puissante que l’esprit de système ? S’il était nécessaire d’apporter une démonstration nouvelle de cette vérité, on la trouverait précisément dans la conduite même des ministres sans portefeuille pendant la discussion. Si l’on raisonnait d’après la théorie des institutions actuelles, on devrait voir dans le corps législatif une assemblée consultative : l’adresse ne serait que la formule des conseils donnés par cette assemblée à l’empereur, pouvoir responsable ; la discussion de l’adresse devrait s’engager entre les membres mêmes de l’assemblée ; les ministres sans portefeuille ne devraient y intervenir que pour apporter sur les points contestés les éclaircissemens officiels nécessaires. En dehors des explications et des justifications qu’ils auraient à présenter, leur attitude entre les opinions opposées qui se manifesteraient dans la chambre devrait être celle de la neutralité. Voilà, nous le croyons, ce qu’indique la théorie bien entendue des institutions actuelles. L’événement a pourtant montré, par le rôle que les ministres sans portefeuille ont joué dans le débat, que les entraînemens et les nécessités de la pratique s’accordent mal avec la théorie. Des opinions contraires à la politique suivie par le gouvernement ont été soutenues avec feu et avec talent par des députés. Qui, avec une égale ardeur et une égale éloquence, a tenu tête à ces députés ? D’autres membres de l’assemblée, leurs propres collègues ?… Non, ce sont des ministres. Les ministres ont pris part à la discussion, comme autrefois les ministres, à la tête d’une majorité dont ils étaient les représentans et les organes, faisaient front contre les chefs et les organes de l’opposition.

Comment M. Billault et M. de Morny, qui ont pris dans la conduite de ces débats une part si distinguée, ont-ils posé le vote sur lequel les quatre-vingt-dix membres du parti catholique se sont comptés ? Comme une question de confiance. Nous dirons à M. Billault et à M. de Morny, et sans les offenser, qu’ils n’ont point dépouillé le vieil homme, qu’ils ont agi là en véritables parlementaires. On ne pose dans une chambre des questions de