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Après un grand massacre, les musulmans sortiront vainqueurs de la lutte. À ce moment-là, un chrétien criera à haute voix que la croix sainte a triomphé ; mais un musulman le battra en disant : Non, la religion mahométane l’emporte. Ensuite les chrétiens et les Turcs réuniront leurs forces et se livreront une bataille dans laquelle le prince turc perdra la vie et sera réputé martyr. Les chrétiens, après avoir pris possession de la Syrie, entreront en arrangement avec leurs adversaires. Ceux des musulmans qui n’auront pas été passés au fil de l’épée viendront à Médine comme dans un asile sûr, et la juridiction des chrétiens s’étendra alors jusqu’au Khyber. »

À Dieu ne plaise que j’essaie d’interpréter exactement cette prophétie ! Il est curieux cependant de voir dans cette prophétie l’empire ottoman ne plus agir et ne plus se défendre qu’à l’aide des nations chrétiennes qui le soutiennent contre d’autres nations chrétiennes. Nous y retrouvons aussi l’opinion qu’ont, dit-on, tous les Turcs de la prise prochaine de Constantinople, de leur retour en Asie ; ici, c’est en Syrie qu’ils se sauvent, et ils ne s’y maintiennent même d’abord qu’à l’aide d’une nation chrétienne. Pourtant ils ne peuvent pas rester en Syrie même ; les chrétiens qui les ont aidés et sauvés disent que c’est la croix qui a triomphé, et les Turcs disent que c’est le Coran. Dans un dernier accès de fanatisme mahométan, ils maltraitent les chrétiens, qui alors les vainquent dans une grande bataille et prennent possession de la Syrie. Les Turcs se réfugient à Médine, la ville sainte.

Je ne sais pas si à mesure que je considère la vieille prophétie, je m’y attache et deviens crédule ; mais je ne voudrais pas répondre qu’il n’arrivera point, même en Syrie, quelque chose de semblable, et qu’après y avoir soutenu les Turcs pendant quelque temps, la nation chrétienne qui s’était prise de goût pour eux ne se brouillera point avec eux, ne les vaincra pas et ne s’emparera pas de la Syrie, surtout si cette nation chrétienne croit que la Syrie est une des routes de l’Inde. En attendant les obscurs événemens cachés dans la prophétie, il est toujours bon de savoir de la bouche de témoins éclairés et véridiques quel est l’état actuel des pays qui doivent tomber un jour entre les mains de l’Europe selon la croyance presque partout répandue en Orient et déjà en train de se vérifier, que l’Occident doit prévaloir sur l’Orient, et que l’Europe va étendre ses conquêtes sur l’Asie.

Tel est le but des recherches que j’ai faites et que j’aurai peut-être encore l’occasion de faire à l’aide des rapports, qui ne sont plus désormais confidentiels, des consuls anglais en Turquie.


SAINT-MARC GIRARDIN.