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se sentent changés eux-mêmes, n’ayant plus ni le moyen ni le goût de suivre l’état auquel ils s’étaient habitués dès leur jeunesse, avant leur entrée au service. Si par hasard quelques-uns d’entre eux veulent recommencer à cultiver leur domaine et reprendre la vie de leur famille, ils tombent ordinairement dans les filets de quelque banquier chrétien, grand usurier qui s’approprie bientôt tout le domaine. Ceux qui reviennent sans avoir le goût de se refaire agriculteurs vendent leurs propriétés comme ils peuvent, et les acquéreurs sont presque toujours des Arméniens ou des Grecs. Quelques domaines ont été achetés par des Francs ; il y a parmi eux sept sujets anglais qui ont acquis de grandes fermes dans l’intérieur et qui les cultivent avec succès. Dans le voisinage le plus prochain de Smyrne, il n’y a plus que quelques Turcs qui soient restés propriétaires ; dans les principaux villages où la population franque et chrétienne va habiter l’été, tous les propriétaires turcs ont dernièrement vendu leurs propriétés.

« Ce changement de mains de la propriété a amené un accroissement considérable dans la production du pays. »

Ainsi, par l’effet naturel de ces ventes faites par les Turcs et de ces achats faits par les chrétiens, l’expulsion des Turcs est commencée. La révolution chrétienne est déjà à moitié faite. Quelques chiffres significatifs, cités par M. Ch. Blunt, montrent la marche rapide de cette révolution. « En 1830, la population turque de Smyrne était de 80,000 âmes ; elle est aujourd’hui de 41,000. La population grecque était à Smyrne, en 1830, de 20,000 âmes ; elle est aujourd’hui de 75,000 âmes. »

On peut ajouter, dit M. Ch. Blunt, que, « quelque rapide que soit l’accroissement de la population chrétienne, le déclin de la population turque est encore plus rapide. Visitez les villes et les villages où la population turque et chrétienne se trouve mêlée ; dans les quartiers turcs, on ne voit personne, point d’enfans dans les rues, tandis que les rues des chrétiens en sont pleines. » M. Ch. Blunt attribue cette diminution singulière de la population turque à plusieurs causes : au service militaire, qui enlève une partie de la population mâle, à l’affreux et criminel usage de l’avortement, au vice contre nature.

Voilà, d’après les rapports des consuls anglais, l’état de la population et de la société turques, et cela dans les provinces mêmes de la Turquie d’Asie. J’ai vu en effet des partisans de la Turquie qui passaient condamnation sur l’état de la Turquie d’Europe ; ils avouaient que là les chrétiens avaient la majorité et la prépondérance, mais ils se rattrapaient sur la Turquie d’Asie. Là, disaient-ils, les Turcs n’ont rien perdu de leur force et de leur puissance ; là, ils sont nombreux et riches. Voyez le tableau que fait M. Ch. Blunt ! Où donc