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de M. Ch. Blunt, consul anglais à Smyrne ; mais je m’arrête un instant, parce que je m’aperçois avec plaisir que ce que vient de dire M. Skene me permet d’expliquer d’une façon moins pénible le langage ordinaire de lord Palmerston sur l’Orient.

Je pense en effet que lorsque le noble lord parle des grands progrès que la Turquie a faits depuis vingt ans dans la civilisation, il veut parler non pas des progrès de la population turque, mais de ceux de la population chrétienne ; il veut parler de cette inévitable révolution qui se fait en Orient, et que M. Skene nous a indiquée : c’est là vraiment qu’il y a de grandes améliorations en Turquie ; mais elles ne se font point par les Turcs : elles se font malgré les Turcs et contre les Turcs ; elles se font par les efforts intelligens des chrétiens d’Orient et par l’intervention ou par l’influence de l’Europe. Qu’y a-t-il en tout cela qui soit à l’honneur ou au profit des Turcs ? Lord Palmerston s’est donné à résoudre un problème insoluble, celui de faire un empire turc avec une population chrétienne. Il aura beau faire, il ne le résoudra pas. Pour le résoudre en effet, il faudrait deux choses : la première, que la population chrétienne s’abattît, se dégradât, se détruisît par la misère ou par l’apostasie : or c’est le contraire qui arrive ; la seconde, que la population turque s’accrût et se développât : c’est encore ici le contraire qui arrive.

Je prends la preuve de ces deux faits décisifs dans le rapport de M. Ch. Blunt, consul à Smyrne : « En dépit du système très imparfait et très vicieux de l’administration, en dépit des abus désastreux de la perception des impôts par les fermiers des dîmes, dit-il, la condition générale de la province s’améliore chaque jour ; Cette amélioration est généralement au profit des races chrétiennes, qui empiètent et avancent sans cesse sur les Turcs. » C’est du hatti-sherif de Gulhané que M. Blunt fait dater l’amélioration du sort des chrétiens et de l’état général de la province. Auparavant les grands propriétaires turcs de l’intérieur vivaient d’un système d’oppression et de brigandage auquel le hatti-sherif mit un temps d’arrêt. « Alors les chrétiens commentèrent à prendre les devans comme cultivateurs ; leur nombre augmenta, grâce à des nouveau-venus. Leur vie n’était plus comme auparavant à la merci de la moindre autorité turque. Les propriétaires turcs en même temps commencèrent à décliner ; la population turque décrut visiblement : les propriétés ne leur donnaient plus un revenu suffisant. Les propriétaires turcs ont à fournir leur part pour la conscription, et beaucoup de Turcs, disons même un très grand nombre des descendans des familles autrefois les plus grandement possessionnées, quand ils reviennent chez eux, après avoir fait leur temps de service dans l’armée, trouvent tout changé : la population turque, autrefois prédominante, remplacée par la population chrétienne, leurs domaines devenus des champs incultes. Ils