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chrétiens leurs habitudes de violence et de tyrannie. La guerre de Crimée a lieu, c’est-à-dire l’Occident veut empêcher le territoire ottoman de tomber au pouvoir de la Russie ; la Turquie croit et on lui laisse croire que le maintien de sa puissance est la condition fondamentale de l’équilibre européen. Cependant, sauvée et défendue par les armées de l’Europe, la Turquie est bien forcée de laisser l’influence européenne pénétrer dans son empire. Les chrétiens en profitent ; leur condition devient meilleure, grâce à l’appui respecté de nos consuls, et respecté nécessairement, puisque nos soldats sont tout près de nos consuls. On peut bien être ingrat pour ses défenseurs et ses libérateurs ; mais l’ingratitude attend ordinairement que les libérateurs soient partis, à moins qu’elle n’en demande elle-même le départ. Les Turcs attendirent le départ des années libératrices de l’Occident, et aussitôt, c’est M. Finn qui le dit, commence une réaction anti-chrétienne sous beaucoup de rapports et antieuropéenne de la part de l’administration turque, c’est-à-dire de l’administration que nous avons sauvée. Est-ce clair ?

Le consul d’Alep reconnaît aussi que c’est aux Égyptiens qu’il faut attribuer le changement qui s’est fait en faveur des chrétiens depuis vingt ans. Les Turcs ont continué ce que les Égyptiens avaient commencé. M. Skene est plus favorable aux Turcs, on le voit, que ne l’est M. Finn. « Il y a dix ans, dit-il, les chrétiens ont cruellement souffert sous la main des musulmans (c’est le grand massacre d’Alep de 1850) ; mais cette explosion avait des causes particulières, et elle n’a point laissé de traces. La condition des chrétiens (je continue à laisser parler M. Skene) s’est même améliorée de manière à devenir dangereuse pour eux ; les musulmans sont jaloux de leur prospérité commerciale et exaspérés par l’arrogance des chrétiens, quand ceux-ci sont protégés par les consuls européens. »

M. Skene pousse encore plus loin son optimisme musulman, et je trouve dans une seconde dépêche de lui, du 20 août 1860, que, « quel que soit l’état des provinces de Bulgarie, de Bosnie et d’Herzégovine, il est certain que, dans la Syrie du nord au moins, l’absence totale de crimes de toute sorte est un des traits les plus remarquables du pays, et ce trait ne se retrouve au même degré dans aucun état d’Europe. Il y a, il est vrai, des conflits entre les sectes : ainsi le massacre des chrétiens à Alep en 1850 et ceux du Liban et de Damas cet été ; mais un observateur impartial et sans passion ne peut prendre ces incidens (such incidents) comme tenant à la constitution sociale du pays. Ils sont plutôt les signes du déclin d’une prépondérance qui fait encore explosion et qui a des momens de recrudescence à mesure que l’introduction d’un autre ordre social se fait plus sentir. Ces choses (les massacres d’Alep en 1850 et du Liban et de Damas en 1860), these things, n’arrivent que lorsque la