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Elle verra si elle doit, sur l’assurance de ses ministres, démentis par les rapports de leurs agens les plus éclairés, continuer à faire du maintien intégral de l’empire ottoman le principe fondamental de sa politique en Orient. Elle verra si c’est son intérêt (et je ne lui demande pas de suivre une autre règle) de soutenir à tout prix un empire qui s’écroule et tombe de tous côtés, un empire qu’il faut gouverner pour faire vivre, — lord Stratford a montré que c’était là le seul moyen de salut pour la Turquie, — un empire par conséquent qu’il faut que l’Europe ou l’Angleterre paie et nourrisse, l’armée, l’administration, le sultan, la cour, le harem, les ulémas, la marine, tout enfin, en haut et en bas, si elle veut le perpétuer. Elle a fait la guerre pour lui ; il faut qu’elle lui fasse maintenant une armée, une marine, une administration, une justice, un gouvernement.

Je me trompe : il y a quelque chose encore de plus qu’il faut que l’Europe fasse à l’empire turc, il faut qu’elle lui fasse une population, et, entendons-nous bien, une population turque, car c’est cette population turque qui meurt et qui dépérit chaque jour, tandis qu’au contraire la population chrétienne s’accroît et se multiplie de jour en jour. Est-ce par hasard que le gouvernement anglais voudrait faire un empire turc avec une population chrétienne seulement ? Je laisse de côté la question de savoir si cette population chrétienne le souffrirait ; je ne demande pas s’il ne serait point étrange de voir le gouvernement anglais soutenir si vivement en Italie le vœu des populations et le combattre si vivement en Orient : on me répondrait sur ce point que c’est là précisément ce que fait le gouvernement anglais dans les Iles-Ioniennes. Mauvaise réponse, selon moi. Si la politique ionienne du gouvernement anglais contredit sa politique italienne, au moins il se contredit pour lui-même et dans son intérêt. En Orient, il se contredit pour le Grand-Turc et pour une cause perdue. Je me hâte au surplus de quitter ces questions de détail, et, allant au fond de la question, je dis hautement : Oui, vingt Anglais dans les Indes peuvent gouverner deux millions d’hommes ; oui, vingt Anglais dans les Indes peuvent résister à vingt mille révoltés, et ils l’ont montré ; mais ce sont des Anglais ! Vingt Turcs ne pourront plus en Orient ni gouverner ni combattre vingt chrétiens ; ils l’ont pu autrefois, et ils ont pu bien davantage encore ; ils ne le peuvent plus aujourd’hui. Leur race s’abâtardit et dépérit au moral comme au physique. L’ascendant du petit nombre sur la foule est possible et même facile, quand le petit nombre est une élite ; mais quand le petit nombre n’est plus qu’un reste et un débris, que faire ?

Est-il donc vrai que la population turque dépérisse et s’éteigne ? Écoutons les consuls anglais. Je me bornerai pour cette fois aux