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en vente. Elle contient vingt mille acres, et on aurait pu l’avoir pour 5,000 livres sterling. C’eût été une affaire admirable. Mes terres sont au nom de Mme Calvert. Lorsque je les achetai il y a dix ans, nul Européen ne payait les dîmes ou les taxes. Les consuls appuyaient dans leurs refus les récalcitrans, et les Turcs n’osaient pas les contraindre. Je donnai un meilleur exemple ; je payai fidèlement mes propres dîmes et mes taxes, et j’invitai toutes les personnes placées sous la protection britannique à faire comme moi. Elles suivirent mon conseil (il est vrai qu’elles n’avaient pas le choix), et tous les autres sujets européens des Dardanelles nous eurent bientôt imités. C’en fut assez pour diminuer la répulsion qu’éprouvent les Turcs à nous voir posséder des terres ; mais elle n’est pas détruite pour cela. Il s’agit d’une innovation, et un Turc ne peut supporter rien de ce qui est nouveau. Ils pressentent tous vaguement que, si nous prenons fortement pied dans le pays, nous achèterons toutes les terres, ou que nous les en expulserons violemment[1]. »

À Smyrne, conversation sur le même sujet et du même genre entre M. Senior et M. Whittall, un Anglais établi à Smyrne. « Je crois, dit M. Whittall, que si nous forçons l’exécution du hatt-humayoun, et si nous mettons les Européens à même d’acheter des terres, la côte de l’Asie-Mineure deviendra une colonie anglaise et allemande. L’Angleterre et l’Allemagne sont les deux seules nations colonisatrices. L’Asie-Mineure est pour elles un meilleur champ que l’Amérique ; il y a bien plus de terres inoccupées. On peut les acheter des particuliers à raison de 1 ou 2 shillings l’acre, et du gouvernement pour les frais d’acte de concession. Le premier et le plus important des progrès serait la construction de chemins de fer ; des Anglais en auraient l’entreprise, la propriété, l’exploitation : ils rapporteraient énormément, et ils rendraient productives des provinces actuellement sans culture, par ce seul motif que 2 hectolitres 90 litres de blé coûtent à transporter sur la côte cinq fois le prix auquel ils reviennent quand on les achète au producteur. Les compagnies de chemins de fer et les colonies européennes deviendraient de petites républiques ; elles diraient aux Turcs : « Nous voulons bien vous payer des dîmes et des taxes vingt fois au-dessus de celles que vous avez perçues jusqu’à présent ; mais nous administrerons nos propres affaires, nous aurons nos autorités locales, nos tribunaux, notre police, nos routes, nos taxes particulières, applicables aux besoins spéciaux des localités… Seulement il faudrait que nous fussions toujours bien représentés. Lorsqu’un consul anglais est un homme de talent et d’énergie, lorsqu’il sait gouverner les masses et

  1. La Turquie contemporaine, page 157.