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amour, amour, feu, enthousiasme, vie ! » Il a beau souffler sur les illusions comme sur un songe de la nuit, les illusions se réveillent dans son cœur endolori. Il a beau vouloir déraciner les espérances de l’âme humaine : ces espérances, il les invoque encore et en subit le charme. Vainement il proclame le néant de la gloire, il croit à la gloire d’un instinct fier et élevé. Il parle fort mal quelque part, j’en conviens, des dames de Florence et de Rome, et même il dit un jour qu’il n’est plus bon qu’à être un eunuque dans un sérail ; nul cependant n’a parlé de l’amour d’un accent plus vibrant : il fait de lui un dernier messager de bonheur envoyé par les dieux auprès des hommes. « Quand il vient sur la terre, dit-il, il choisit parmi les personnes les plus généreuses et les plus magnanimes les cœurs les plus tendres et les plus délicats, et là il se repose, et il répand en eux une douceur si étrange, si merveilleuse, qu’ils éprouvent une chose toute nouvelle pour le genre humain, plutôt la vérité que l’apparence du bonheur. » Celui qui parle ainsi n’est point un sceptique vulgaire, c’est un souffrant dont la poésie est un combat permanent entre les instincts de son cœur et les désabusemens prématurés de son esprit. Il est de cette race des lutteurs de la vie pour qui tout est sérieux, tout est passion.

Les hommes de cette race ne peuvent trouver le bonheur dans le repos et n’ont jamais connu cet heureux équilibre de sentimens ou de pensées qui se résout quelquefois en indifférence ou en calme superbe. Ce que d’autres prennent légèrement en restant maîtres d’eux-mêmes, ils le prennent avec une inextinguible ardeur, en y engageant leur âme tout entière ; leur vie morale est un drame permanent plein de péripéties et de crises. L’un sort victorieux de la lutte, comme Pascal, et garde son trouble jusque dans sa victoire ; l’autre plie sous la défaite, comme Leopardi, et justifie merveilleusement ce mot de l’auteur des Pensées : « La misère persuade le désespoir. » L’issue du combat est différente ; la nature des deux hommes est la même. Leopardi était de cette famille ; il était le frère dernier né de Pascal, à qui il ressemblait par les anxiétés de son âme, par les souffrances de sa jeunesse et jusque par les crises caractéristiques de l’existence ; il a été pour l’Italie de ce temps la pathétique expression de l’un de ces drames de la vie morale qui se dénouent par la foi victorieuse ou par le scepticisme désespéré. L’indifférence, je ne sais où elle est, elle n’est pas dans ces âmes éternellement agitées d’un sentiment que Leopardi appelle « le plus sublime des sentimens humains, » celui qui est « le signe le plus éclatant de grandeur et de noblesse dans la nature mortelle, » l’ennui, pour l’appeler par son nom, — l’ennui qui naît du sein des choses, l’ennui, tourment des esprits supérieurs que rien ne peut satisfaire, et qui, au spectacle des mondes, de l’espace infini et de l’univers,