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NOUVELLE POLITIQUE COMMERCIALE.

sont bien différentes aujourd’hui. Au lieu de s’effrayer de la presse, les hautes classes sont disposées, comme on vient de le voir, à favoriser tout ce qui est publicité et mouvement d’idées pour le peuple[1]. Les fils de ces gentlemen qui s’organisaient militairement, il y a quarante ans, pour tenir tête aux ouvriers, en sont à proposer des souscriptions pour fournir des armes aux ouvriers. Vers la fin de l’année dernière, un membre important du parlement, M. Lindsay, avait jeté les bases d’une association nationale dont les membres se seraient engagés à verser chaque semaine une cotisation variant de 80 centimes à 2 francs 50 centimes. Les sommes ainsi recueillies auraient servi à donner au citoyen pauvre un équipement de volontaire, une carabine rayée qui serait devenue sa propriété, et de plus un secours hebdomadaire en cas de maladie, une petite pension de retraite à l’âge de soixante ans, et même un capital de 2,500 fr. pour le plus proche héritier du volontaire décédé. L’obstacle à ce projet n’est pas venu des hautes classes. Le gouvernement a fait sentir avec raison qu’il ne convenait pas d’introduire des catégories dans la milice patriotique en formant des légions stipendiées, et que tout citoyen était égal devant le péril de la patrie. Les ouvriers eux-mêmes ont manifesté une certaine répugnance à recevoir leur équipement de la générosité publique. Ceux qui le désirent et le peuvent achètent leurs carabines, et ils sont bien accueillis quand ils se présentent, surtout peut-être dans les corps où les influences aristocratiques dominent.

La conclusion à tirer de là est que la crainte des révolutions intérieures est complètement dissipée en Angleterre. C’est là un phénomène spécial, unique peut-être dans l’histoire, à peine croyable, je le sens bien, pour les gens qui n’ont pas l’habitude de l’analyse économique. Aux yeux de ceux qui sont aptes à discerner les effets des lois sur le travail, source de toute prospérité, il n’y a plus aucun sujet d’étonnement : les faits confirment la théorie. Il nous reste au surplus un bon moyen de faire comprendre à tous comment l’Angleterre est parvenue à une sécurité intérieure et à un merveilleux enrichissement sous l’influence de la liberté économique : c’est de mettre en contraste un autre grand pays qui a suivi dans son économie administrative des tendances presque toujours opposées. Ce pays, c’est la France.

André Cochut.
  1. Il résulte d’une statistique récemment publiée en Angleterre, News papers Press Directory for 1861, que le nombre des journaux et recueils dans le royaume britannique était de 267 en 1821, et qu’il est actuellement de 1102, dont 819 pour l’Angleterre et le pays de Galles. Encore en 1850 on en comptait moitié moins qu’en 1861.