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la réforme électorale de 1832, l’esprit de parti était enflammé à un degré que nous avons peine à concevoir, et que le bon sens public ne tolérerait pas actuellement. Dans beaucoup de villes, un whig et un tory ne se seraient pas assis à la même table, et dans les relations privées les femmes, les enfans, les parens d’un chef de famille attachés à l’un des deux grands partis refusaient aux familles d’un sentiment opposé les témoignages de la politesse la plus vulgaire. » Au contraire, le trait caractéristique du moment (les organes de la publicité britannique en font l’aveu), c’est l’effacement des anciennes couleurs, l’indolence du public anglais à l’endroit des réformes purement politiques. Cet apaisement, qui deviendrait un mal s’il devait aller jusqu’à l’indifférence chronique, quelle en est la cause ? Se figure-t-on qu’il n’y ait là qu’un phénomène de pondération constitutionnelle, que whigs et tories se soient calmés par la seule raison qu’un parti a ravi à l’autre son influence ? — Dans le système des relations extérieures, le changement du caractère britannique n’est pas moins remarquable. Cet âpre désir d’acquisition et d’agrandissement, qui a chez tout Anglais la force d’un instinct, ne s’est pas amoindri ; mais les influences nouvelles qui dominent à l’intérieur ont modifié à l’égard des étrangers les points de vue et les moyens d’action, et l’anathème sur la perfide Albion, qui a eu sa raison d’être pour nos pères, n’est plus aujourd’hui qu’une manière de plaisanterie.

Un autre contraste est plus frappant encore. Nous avons vu quelles étaient les dispositions des classes populaires après la paix de 1815 : la peur se mit parmi les classes riches, peur assez légitime lorsqu’on voyait les ouvriers dresser les cadres d’une innombrable armée, acheter des fusils et forger des piques. On pressait alors le gouvernement d’aviser aux mesures répressives : suspension de la liberté de la presse, du droit de réunion, du droit de posséder des armes. Mécontens de ce qu’ils appelaient l’inertie du pouvoir, les nobles et les gentlemen des comtés du nord et de l’Écosse avaient pris l’initiative d’une confédération défensive, espèce de milice armée. Supposez que le gouvernement, d’accord avec les classes supérieures, s’en fût tenu, à un système de résistance ; il en eût été de la crise comme de la plaie trop fortement comprimée qui s’enflamme. De ce qui n’était qu’une émeute de gens affamés serait sorti un vrai parti politique avec ses chefs et son programme. L’antagonisme des classes, quand il menace de dégénérer en guerre civile, jette dans les sociétés tant d’alarmes et de misères qu’on y fait bon marché de la loi pour en finir au plus tôt. Il se serait formé sous un nom quelconque une espèce de dictature, et qui sait ce que serait devenue cette libre constitution dont tout Anglais fait son plus noble amour ? Les choses