Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ébranlement favorable au principe destiné à transformer les relations de peuple à peuple. Il n’y a pas à dire d’ailleurs que l’Angleterre fausse elle-même ce principe en signant un traité de commerce exclusif : elle ne modifie point ses lois en vue d’un intérêt spécial, et si la France paraît avoir obtenu des avantages, toutes les autres nations sont admises à en profiter.

Pour qu’un ministre tienne un pareil langage au milieu d’une assemblée, il faut évidemment que le libre échange soit hors de cause comme doctrine : il n’y a plus de dissidence possible que dans l’application. On sent chez M. Gladstone la généreuse impatience d’achever l’œuvre de Robert Peel. Il propose d’abolir ou de réduire les droits d’entrée non-seulement sur les articles consignés dans le traité avec la France, mais encore sur un certain nombre de produits alimentaires dont il voudrait faciliter l’introduction dans les pauvres ménages. Après cette dernière simplification, le tarif anglais ne comporte plus que vingt-six articles principaux (sans compter quelques subdivisions) inscrits uniquement en vue du revenu qu’ils doivent fournir à l’état, et sans aucun égard pour les intérêts particuliers. Le couronnement de la réforme douanière, selon le ministre, c’est l’abolition du droit d’excisé sur le papier. Ce dernier article mérite une mention spéciale.

Avant les réformes décisives, vers 1837, la consommation du papier de toute sorte dépassait à peine 40 millions de kilogrammes, dont le trésor tirait environ 12 millions de francs. En 1859, on a perçu les droits sur 98,675,720 kilos, et le produit net a été de 31,461,600 francs. Ce prodigieux accroissement dans l’emploi du papier est un des plus sûrs indices du progrès social accompli. On y voit d’abord un effet de la multiplication des affaires, car il n’est pas une seule transaction qui ne donne lieu à quelques écritures. Il semble en second lieu que l’activité industrielle, au lieu d’atrophier les esprits, comme on est disposé à le croire, développe au suprême degré le besoin des renseignemens, de l’étude, de la controverse, et même des délassemens intellectuels. Par un phénomène politique très remarquable, si le besoin du papier imprimé s’est accru en Angleterre, c’est pour une clientèle toute nouvelle. Les beaux livres pour les lettrés, les journaux et les recueils adressés aux « classes gouvernantes, » comme disent nos voisins, ne sont peut-être pas beaucoup plus répandus qu’il y a trente ans ; mais depuis que la liberté commerciale a rendu l’émulation et l’espoir à tant d’esprits qui se laissaient croupir, il faut une multitude de petits livres à bon marché, de journaux à un penny. Le tirage quotidien de ces feuilles populaires est déjà évalué au double de celui des journaux de la société choisie, y compris le Times, qui répand à lui