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riode de guerre. On s’appliqua avec d’autant plus de soin aux réformes qui n’intéressent pas d’une manière directe les finances de l’état. Cette tendance, de plus en plus caractérisée, consistait à introduire la liberté dans toutes les transactions, à affranchir les citoyens d’une prétendue tutelle qui, sous prétexte de les garantir contre les fraudes, détruit leur initiative et paralyse leur aptitude. En 1854, on prononça l’abolition des lois contre l’usure, très regrettées sans doute des usuriers, car elles les autorisaient à augmenter le prix de leurs services en proportion des périls du métier. On signalait depuis vingt ans les fâcheux effets de la loi sur les sociétés commerciales. Le code anglais n’avait d’abord admis que des sociétés privées (private companies), composées seulement de six personnes, toutes responsables et indéfiniment solidaires les unes des autres. Sous ce régime, les associations de capitaux n’étaient possibles qu’entre gens d’une opulence notoire, assez connus les uns des autres pour qu’on ne reculât pas devant les chances d’une pareille solidarité. On adoucit, vers 1826, les rigueurs de ce système en tolérant des sociétés à fonds réunis (joint-stock companies) dont les actionnaires peuvent être en nombre illimité, en restant néanmoins solidaires les uns des autres, de telle sorte que le porteur d’une seule action aurait pu être ruiné pour combler le déficit d’une entreprise, bien qu’il fût resté complètement étranger à la gestion. Il y avait pourtant un moyen d’échapper à cette terrible responsabilité : c’était de se faire autoriser spécialement, en vertu d’une charte royale ou d’un acte du parlement, à constituer une compagnie à peu près semblable à nos sociétés anonymes, où la perte de l’actionnaire ne peut jamais dépasser la valeur de sa mise ; mais ce moyen n’était pas à la portée de tout le monde, et l’espèce de procédure préliminaire pour obtenir la patente entraînait des dépenses telles qu’elles ne pouvaient être supportées que par de puissantes associations. Les chartes de ce genre n’étaient presque jamais accordées en matière de banque, afin de ne pas entamer le privilège de la banque d’Angleterre. Insistons encore sur ce détail qu’en Angleterre toutes les contestations entre associés devaient être déférées à un tribunal d’équité, c’est-à-dire à la cour de la chancellerie, tribunal où aboutissent une multitude d’affaires de toute sorte, quoique les juges y soient en très petit nombre, si bien que les procès y durent ordinairement plusieurs années, et deviennent si dispendieux qu’il y a folie à les entamer quand l’intérêt n’y est pas considérable.

On n’a pas manqué de vanter comme un acte de haute sagesse ces obstacles opposés à la multiplication des sociétés commerciales : c’était le frein pour brider les emportemens de la spéculation, une garantie nécessaire au public contre les flibustiers de l’industrie.