Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/697

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prohibé. Celui des colonies britanniques payait environ 62 centimes par kilo. L’importation ne dépassait pas alors 194,000 tonnes, ce qui correspondait au plus à une consommation de 6 kilos de sucre raffiné par tête. Un peu plus tard, en vertu des combinaisons de Robert Peel, on avait réduit le droit de moitié et permis l’introduction des sucres d’origine étrangère, mais avec une surtaxe d’un tiers. En 1848, lord John Russell, en lutte contre les tories, qui avaient les prohibitionistes pour arrière-garde, leur jeta comme un défi la proposition d’abolir définitivement le privilège des planteurs britanniques, en abaissant le droit sur les sucres à 25 centimes par kilogramme, sans aucune distinction d’origine. Par compensation, on restituait aux colons la faculté de chercher les marchés les plus lucratifs pour leurs produits, au lieu de les réserver pour la métropole. Les lamentations sur la ruine inévitable des colonies, les menaces même, retentirent suivant l’usage ; il y eut une telle indécision dans le parlement, que le ministère ne put recueillir qu’une majorité de quinze voix. Après dix années d’expérience, en 1858, l’importation s’élevait à 469 millions de kilogrammes, et la consommation par tête était plus que doublée. Ce qui est particulièrement remarquable, c’est qu’en dépit de la concurrence étrangère, les colonies sucrières ont augmenté leur commerce avec la métropole de 50 pour 100, indépendamment du trafic qu’elles ont pu faire avec les étrangers.

L’abandon du système colonial a déterminé le retrait des lois de navigation. Il n’y a pas de meilleure preuve de l’influence acquise par les free traders que l’abolition de ce fameux acte de Cromwell, vénéré si longtemps comme le palladium de la puissance britannique. La portée politique de cet acte avait été bien amoindrie par suite des altérations qu’il avait reçues après l’émancipation des États-Unis d’Amérique ; il en restait cependant toutes les combinaisons de police qu’on supposait propres à développer l’énergie des marins ou à protéger l’art des constructions navales : traités particuliers, droits différentiels entre les pavillons, défense d’employer les navires construits à l’extérieur, ou même de réparer les navires nationaux dans les ports étrangers, obligation de réserver le transport des produits coloniaux à la marine britannique, obligation d’importer par le cabotage et non par les canaux la plus grande partie des charbons brûlés à Londres. Depuis les temps d’Huskisson, la propagande libérale avait atténué peu à peu ces règlemens dans la pratique : mais le principe et surtout le préjugé restaient debout, et quand le ministère proposa en 1849 de supprimer définitivement l’acte de Cromwell, il ne fut pas difficile aux adversaires de la loi de susciter les passions populaires et de mettre sur pied une véritable