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III. — robert peel.

Quelque considérable que nous paraisse le chiffre des dégrèvemens, il n’en était résulté que des remaniemens de tarifs, arrêtés juste au point où les intérêts du trésor allaient être compromis, et laissant subsister la plupart des anciens monopoles. Les whigs, comme des opérateurs timides, avaient effleuré la plaie, sans oser porter le fer jusqu’aux profondeurs. Vers 1841, la détresse des classes ouvrières, augmentée accidentellement par l’insuffisance des récoltes, semblait mettre de nouveau la société en péril. L’agitation contre les corn-laws empruntait à ces circonstances le caractère d’une grande lutte politique. Le torysme se serait évidemment perdu par une résistance obstinée : les hommes intelligens du parti le comprirent, et, par un vigoureux effort, ils portèrent Robert Peel jusqu’au sommet du pouvoir, afin que le plus capable d’entre eux eût la main haute au milieu des changemens inévitables. Une certaine émotion existait en ce moment à propos d’un comité institué par la chambre des communes avec mission d’analyser la législation douanière en distinguant les droits plus ou moins protecteurs de ceux qui avaient pour unique raison d’être les intérêts du trésor. L’enquête venait de révéler que, sur onze cent cinquante articles mentionnés au tarif et fournissant une recette brute de 574 millions de francs, il y en avait dix-sept dont on tirait 542 millions, vingt-neuf produisant 22 millions, et onze cent onze ne donnant que fort peu de chose ou rien. Quant à l’effet des taxes sur les transactions, on en avait signalé plusieurs comme malfaisantes et d’autres comme ridicules. Les ligueurs de Manchester faisaient grand bruit de ces aveux officiels, et jusqu’au sein du ministère tory on les avait pris en sérieuse considération.

On connaît le premier plan de Robert Peel, qui consistait à pratiquer sur une large échelle la réforme des tarifs commerciaux, sauf à compenser les pertes du trésor par l’établissement d’un impôt sur les gros revenus, et à restreindre autant que possible les concessions demandées à l’aristocratie territoriale par le cri populaire. Je ne rappellerai pas des incidens qui ont pris récemment, sous une plume habile, l’intérêt du drame[1] ; je dois m’en tenir à enregistrer sommairement les résultats. Les principes adoptés par Robert Peel en matière de douanes se résumaient en quatre points : abolition définitive des prohibitions, franchise absolue pour les matières

  1. Voyez la remarquable étude de M. Louis Reybaud sur Cobden et l’École de Manchester dans la Revue du 15 mai 1860.