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de la liberté commerciale, c’était avec toute sorte de restrictions et de ménagemens pour les préjugés du public. Ces évidences toutes nouvelles, comme disent les Anglais, sur une foule de phénomènes incompris jusqu’alors, ont provoqué la sagacité des observateurs, et c’est à partir de cette époque qu’on a vu poindre cette école des free traders qui a conjuré la catastrophe imminente, en provoquant une transformation sociale dont l’histoire parlera avec admiration, quand elle sera complète et qu’on en aura mesuré l’étendue.

Une fois placés à ce point de vue, les bons esprits ne tardèrent pas à découvrir la voie où il fallait entraîner le pays. Augmenter l’essor industriel par la révision des lois et règlemens qui faisaient obstacle au travail, et surtout par la suppression des droits sur les matières premières, donner quelque satisfaction à la multitude en avisant au moyen de réduire les taxes sur les objets de grande consommation, telles étaient les bases d’un programme assez vaguement esquissé à l’origine, et théoriquement personne n’avait d’objections à y faire. Quant à la pratique, c’était autre chose. On allait se heurter à cette innombrable majorité qui applaudit aux réformes, mais à la condition qu’elles ne dérangeront aucune classe dans ses intérêts, aucun praticien dans ses routines. Le trésor avait besoin de toutes ses ressources, et n’entendait pas qu’on les réduisît. L’aristocratie territoriale considérait son monopole comme un talisman auquel l’Angleterre devait sa prépondérance en Europe. Les commerçans, les manufacturiers étaient en plein sous l’illusion du système protecteur. Cette situation des esprits fait comprendre le retentissement qu’eurent à cette époque les délibérations du parlement britannique relativement au commerce des soieries.

C’est pour ainsi dire par le suicide de l’ancien régime que la nouvelle doctrine libérale arrive pour la première fois au pouvoir. Le 12 août 1822, au moment de partir pour le congrès de Vérone, où il s’agissait de cimenter la sainte-alliance, Castlereagh tomba dans un noir désenchantement de ses propres principes et se coupa la gorge. Sentant la nécessité de reformer un cabinet plus en harmonie avec l’opinion, lord Liverpool s’adjoignit Canning à la place de Castlereagh, lord Ripon (M. Robinson) comme chancelier de l’échiquier, et M. Huskisson comme président du bureau de commerce, trois free traders. Robert Peel, introduit dans ce même cabinet comme ministre de l’intérieur, et alors imbu de tous les préjugés économiques de son parti, était le plus ardent avocat des monopoles dont la destruction devait plus tard faire sa gloire. Pendant deux ou trois ans, et comme pour se préparer la main, Huskisson s’appliqua à réduire les taxes oppressives en évitant d’amoindrir les ressources du trésor. Des dégrèvemens portant à la fois sur