Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/679

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au grand ministre : c’était l’évolution commencée dans l’économie rurale, l’invention toute récente des moteurs et des métiers mécaniques, et en même temps les bévues administratives que l’on commettait en France. Les agronomes de l’école de Young et d’Arbuthnott avaient vivement frappé l’opinion publique en préconisant un type de grande exploitation consacrée exclusivement à la production des deux alimens essentiels, le blé et la viande : il y avait tendance à défricher les terres vagues et à les mettre en valeur conformément à cette conception. Voyant l’ordre aristocratique ébranlé par le courant des idées, et préoccupé de lui conserver son antique prépondérance, Pitt imagina de lui confier le monopole de l’alimentation populaire. Les deux cinquièmes du territoire étaient encore à l’état inculte : des espèces de déserts dont le fond appartenait au lord étaient considérés comme les communaux de la paroisse et livrés à la vaine pâture. On avait toléré aux temps des mœurs faciles que de pauvres paysans élevassent çà et là des cabanes dont le rapprochement avait parfois créé des hameaux. Survient la fièvre de 1792 : aussitôt se multiplient les actes de clôture (inclosure bills), c’est-à-dire les autorisations d’enclore et de défricher les communaux, et on dirige cette opération de manière à faire disparaître les groupes de petits cultivateurs libres. De propriétaires qu’ils se croyaient dans leur ignorance des subtilités féodales, ces malheureux deviennent fermiers ou journaliers dans les grandes exploitations qui se forment. Les défrichemens sont toujours dispendieux, surtout quand il s’agit de féconder des terres médiocres ; mais des centaines de banques viennent en aide à la nouvelle industrie agricole, et elles se montrent d’autant plus libérales dans leurs crédits que la suspension des remboursemens en espèces autorise largement l’usage du papier[1]. Pour surexciter parmi les gentlemen farmers ce genre de spéculation, dont les plus beaux fruits reviennent aux lords, on prodigue les monopoles. De 1796 à 1815, la législation sur les céréales est remaniée neuf fois, et toujours dans un sens plus restrictif, si bien qu’on arrive à l’équivalent de la prohibition absolue. La plupart des produits agricoles sont écartés par des droits très forts : l’entrée des viandes de boucherie est franchement interdite.

Un tel régime économique, combiné avec la détérioration du papier-monnaie, devait amener un enchérissement excessif des denrées, et je constate en effet que de 1796 à 1820 le blé s’est maintenu en moyenne à 35 francs l’hectolitre, bien qu’il valût moitié

  1. Les banques provinciales remboursaient, leurs propres billets avec des billets de la banque d’Angleterre, qui ont perdu pendant cette période de 8 à 25 pour 100.