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L’Angleterre, disent-ils, s’est d’abord fortifiée au moyen du régime prohibitif, et quand elle a eu le sentiment de sa supériorité, elle a entrepris une propagande perfide, tendant à désarmer ses rivaux pour les anéantir dans une lutte inégale. — Ceux qui soutiennent cette thèse ignorent les faits ou ont intérêt à les dénaturer.

Si l’on excepte le petit groupe d’observateurs que l’on commença à désigner par le nom d’économistes peu de temps avant la révolution française, les principes de Colbert en matière de commerce faisaient loi dans toute l’Europe : ils entraient dans l’éducation des hommes d’état, et répondaient aux préjugés instinctifs des chefs d’industrie. Le système protecteur existait donc en Angleterre comme partout ; mais, au lieu d’enrichir ce pays, il y avait produit son effet inévitable, qui est de ralentir le progrès. L’industrie britannique n’avait pas une vitalité plus grande que la nôtre avant 1799, elle n’a guère que depuis cette époque acquis une supériorité décisive : cette affirmation, contraire à l’opinion commune, va être prouvée. Quant à la réforme des lois commerciales, elle ne résulte pas plus d’une combinaison insidieuse que d’un zèle désintéressé pour le progrès : elle est sortie, comme la plupart des grands changemens politiques, d’un besoin péniblement senti et de l’urgence d’y porter remède. La théorie s’est faite d’elle-même, pour ainsi dire, par l’évidence du succès.

Si on se rappelle que l’Angleterre et l’Écosse comprenaient à peine huit millions d’âmes en 1792, que l’Irlande n’était alors qu’une nation hostile, qu’au sein même de la population britannique l’esprit nouveau commençait à pénétrer les masses, on avouera qu’il y eut de la part de l’aristocratie une excessive audace à provoquer la France révolutionnaire. Pitt trouva moyen d’engager toute la nation en lui persuadant que la guerre où il la poussait était pour elle une affaire de vie ou de mort. Ce qui était un sophisme au début devint plus tard une réalité. La question étant ainsi posée, il n’y avait plus à mesurer l’étendue des sacrifices. De 1792 à 1815, on leva par voie d’emprunts 15 milliards 354 millions de francs, somme qui, en vertu de sa puissance d’achat, valait deux fois plus qu’aujourd’hui. On demanda aux riches une partie de leurs revenus ; on augmenta les impôts ordinaires, on frappa de taxes tous les objets qu’on put atteindre, si bien que le budget des recettes, qui était de 450 millions avant la guerre, finit par être à peu près quintuplé.

La suprême habileté de Pitt fut de comprendre que le peuple anglais, malgré son dévouement et son énergie, succomberait à la peine, si on ne développait pas ses ressources en proportion des sacrifices nécessaires. Des occurrences favorables vinrent en aide