Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

purement locales, pas plus au pôle qu’à l’équateur, il n’y a de concordance réelle entre la distribution géographique des animaux et celle des races humaines.

Pour soutenir sa théorie, Agassiz ne s’en est pas tenu à de tels argumens : il en a employé d’autres qui reposent, comme les précédens, sur quelques coïncidences de détail, mais qui sont bien plus faciles encore à réfuter. Ici même nous éprouvons un certain embarras. Dans la préface de l’un de ses derniers ouvrages, récemment publié à Londres[1], l’auteur avertit ses lecteurs européens que « son livre a été écrit en Amérique, spécialement poulies Américains, et que la population à laquelle il est particulièrement destiné à des besoins très différens de ceux du public qui lit en Europe. Je m’attends, ajoute-t-il, à voir mon livre lu par des gens de peine, par des pêcheurs, par des fermiers, aussi bien que par des étudians ou des savans de profession, et j’ai dû faire mon possible pour être compris de tout le monde. » Nous admettons cette nécessité ; mais peut-être, sous l’empire de ces préoccupations, Agassiz s’est-il parfois plus inquiété de frapper fort que de frapper juste ; peut-être s’est-il laissé aller à employer des argumens qu’il eût soigneusement évités, s’il s’était adressé à un autre public. Cette espèce d’entraînement expliquerait seule à nos yeux comment un naturaliste d’un aussi incontestable savoir, comment un esprit aussi éclairé a pu chercher à étayer une doctrine quelconque par des raisons comme celles qu’il invoque dans une lettre adressée aux auteurs des Types of Mankind ?

Imitant en cela presque tous les polygénistes, Agassiz s’appuie d’une part sur les incertitudes qui règnent encore dans la science relativement à la détermination de certaines espèces de singes, d’autre part sûr les différences qui séparent les races humaines. Nous avons répondu à ces objections mille fois opposées aux monogénistes, et nous n’y reviendrons pas. De plus, il semble vouloir chercher une preuve en faveur de la communauté d’origine du Malais et de l’orang-outang, du Négritto et de certains gibbons, dans l’identité de couleur que présenteraient, selon lui, la peau de ces races humaines et le pelage de ces quadrumanes. Il insiste peu du reste sur cet argument, et nous ferons comme lui. Le lecteur peut aisément se faire une opinion personnelle à ce sujet en lisant ce que les voyageurs nous apprennent sur les Malais, les Négrittos, et les autres peuples qui vivent dans la zone des quadrumanes, et en allant ensuite parcourir les galeries du Muséum. Il trouvera là des orangs, des gibbons et bien d’autres singes ; il décidera par lui-même s’il est possible d’établir le moindre rapport entre le teint des

  1. An Essay on Classification, 1859.