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castor d’Europe, où se retrouvent presque tous nos principaux genres de carnassiers. Dans l’Amérique méridionale au contraire se rencontrent des hommes à teint jaune, à pommettes saillantes sur les côtés, à yeux bridés et obliques, si semblables aux Asiatiques qu’ils reconnaissent eux-mêmes cette ressemblance et à première vue appellent les Chinois leurs oncles[1]. Sur cette même terre vivent d’autres nations qui, sans être aussi blanches qu’un Anglais ou un Allemand, « ont le teint plus clair qu’on ne l’a en général en Espagne et en Italie[2]. » — Ainsi considérée comme centre de création humaine et non plus comme centre de création animale, l’Amérique du Nord s’isole à la fois de l’Asie et de l’Europe, tandis que l’Amérique méridionale se confond presque avec l’Asie et se rapproche même de l’Europe. Les hommes et les animaux du nouveau continent ont donc avec les hommes et les animaux de l’ancien monde des rapports géographiques précisément inverses.

Dans tous ses principes essentiels, la théorie que nous combattons se trouve ainsi en désaccord avec les faits. Nous pourrions nous en tenir là, mais il est bon de la suivre dans une au moins de ses applications, pour en mieux constater la faiblesse. — Nous avons vu qu’Agassiz partage le globe terrestre en huit royaumes zoologiques, et que la première de ces grandes divisions est le royaume arctique. Celui-ci comprend tous les déserts (barren lands) qui, dans l’ancien et le nouveau continent, sont placés au-delà des limites des forêts. Il est borné au midi par une ligne onduleuse comprise à peu près entre le 60e et le 65e degré de latitude. Certes aucune région ne présente des conditions plus en harmonie avec les vues d’Agassiz ; les conditions générales sont à peu près identiques dans cette vaste étendue, et parmi elles il en est une qui domine tout, — le froid. Pourtant, pas plus que les autres, elle ne réalise ce que promet la théorie. Agassiz caractérise ce royaume par la présence de cinq mammifères et d’un oiseau qui sont par conséquent pour lui les termes zoologiques correspondans de l’Esquimau, pris comme type de l’homme boréal. — Les Esquimaux et les races qui ont avec eux le plus de ressemblances générales sont en effet relégués à peu près dans les limites indiquées par l’auteur ; mais quiconque tiendra compte comme nous de l’action à la fois si uniforme et si puissante que doit exercer sur l’homme ce climat polaire comprendra qu’il ne peut en être autrement. Ce climat n’agit pas seulement d’une manière directe par sa température, il impose de plus à toutes les populations des mœurs, des habitudes, un genre de vie, une nourriture presque entièrement semblables. En tout, il identifie pour

  1. Observation du prince de Neuwied.
  2. D’Azara, cité par Prichard. Humboldt parle d’ailleurs d’hommes blancs à cheveux blonds qui auraient été vus dans l’Amérique méridionale par les premiers navigateurs.