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Pour un esprit enclin à ne voir dans l’espèce qu’un groupe à peu près artificiel, reposant sur la forme seule, que pouvaient être ces races, séparées par des différences originelles, sinon des espèces d’espèces ? Déjà on pourrait dire qu’Agassiz oscille entre la doctrine de l’unité et celle de la multiplicité, et cherche à fondre deux idées qui s’excluent réciproquement.

Cette tendance devient plus évidente dans une Notice sur la Géographie des Animaux ; publiée en 1845[1]. « Tous les êtres organisés, dit Agassiz, ont une patrie. L’homme seul est répandu sur la surface entière de la terre. » Cela est vrai. « Les animaux aussi bien que les plantes sont comme parqués dans des régions déterminées, » tandis que l’homme habite tous les climats. On a désigné sous les noms de flores, de faunes, l’ensemble des végétaux ou des animaux qui habitent une de ces régions. Or dès cette époque Agassiz avait cru pouvoir constater une certaine coïncidence entre les limites des faunes et l’aire occupée par certains groupes humains ; déjà il attribuait à une cause primordiale identique la répartition de l’animalité en espèces, de l’humanité en races, sur un territoire donné, et reliait ainsi intimement la diversité des populations humaines à celle des faunes. « Mais, ajoutait-il, cette diversité, qui à la même origine, a-t-elle la même signification chez l’homme que chez les animaux ? Évidemment non. Tandis que les animaux sont d’espèces distinctes dans les différentes provinces zoologiques auxquelles ils appartiennent, l’homme, malgré la diversité de ses races, constitue une seule et même espèce sur toute la surface du globe. À cet égard comme à tant d’autres, l’homme apparaît comme un être exceptionnel dans cette création, dont il est à la fois le but et le terme. » Ainsi l’auteur affirme plus clairement que par le passé les deux notions opposées qu’il s’efforce de réunir. Par cela même, la contradiction se prononce davantage, et déjà, pour concilier sa conception avec les faits, il est obligé d’admettre que l’homme est un être exceptionnel dans une question toute d’histoire naturelle et de physiologie.

Ce travail, fait en Europe, renferme en germe la doctrine entière qu’Agassiz a développée depuis en Amérique, d’abord dans des séances d’académie et des congrès où elle produisit une sensation profonde et fut vivement contestée à divers points de vue[2], ensuite dans un mémoire spécial que nous allons examiner. On peut la résumer en quelques mots. Agassiz admet que toutes les espèces animales n’ont pas pris naissance sur le même point du globe,

  1. Revue suisse de Neuchâtel.
  2. The Unity of the human races proved to be the doctrine of scripture, reason and science, par Thomas Smith.