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Elle explique très naturellement la diversité des groupes humains : elle n’est en contradiction avec aucun des faits que nous avons exposés ; elle n’a rien qui répugne à la physiologie générale, notre guide suprême dans toute cette discussion. L’observation, l’expérience, ne nous apprendront rien sur le fait de l’existence d’une ou de plusieurs paires primitives. Scientifiquement parlant, l’une et l’autre alternative est donc également possible. En supposant que plusieurs paires aient paru à la fois, elles ont pu être ou rigoureusement semblables, ou présenter seulement les différences que nous observons entre races. Dans cette dernière hypothèse, les caractères distinctifs de la race et de l’espèce, tels qu’ils ressortent de ce travail, ne s’en retrouveraient pas moins dans ces groupes originels. La question reste évidemment la même, soit que l’on suppose ces groupes réunis sur un seul point du globe, soit qu’on admette qu’ils ont pris naissance dans des régions plus ou moins éloignées, plus ou moins multipliées. Les considérations qui nous ont guidé jusqu’ici font donc entièrement défaut, et pour résoudre le problème posé par l’hypothèse de La Peyrère, il est nécessaire d’avoir recours à un tout autre ordre d’idées. C’est ce qu’a fait Agassiz. Reprenant les idées de son prédécesseur, ou plutôt sans doute arrivant aux mêmes croyances par une voie toute différente, c’est sur la géographie zoologique qu’il a fondé toute sa doctrine.

Cette doctrine a fait au célèbre naturaliste une position singulière. Agassiz proclame hautement qu’à ses yeux il n’existe qu’une seule espèce d’hommes ; il devrait donc, semble-t-il, être le bienvenu chez les partisans de l’unité et fort mal vu de ceux qui croient à la multiplicité des espèces. Eh bien ! c’est le contraire qui arrive. Il est prôné avec enthousiasme par les polygénistes, attaqué avec une vivacité extrême par les monogénistes. Ces derniers traitent assez hautement Agassiz de transfuge, et donnent à entendre fort clairement que, pour se faire dans les États-Unis du sud la haute position qu’il y occupe depuis plusieurs années, il n’a pas hésité à modifier les opinions qu’il professait en Europe, que tout au moins il a cherché par une sorte de faux-fuyant à ménager des passions d’autant plus exigeantes qu’elles ont pour base des intérêts très positifs. Nous n’hésitons pas à déclarer que ces imputations sont dénuées de fondement. La vie entière d’Agassiz proteste contre les motifs qu’on lui prête. En Europe, on l’a vu faire à la science des sacrifices matériels que. ses amis avaient le droit de trouver exagérés ; tout récemment, il a refusé la haute position que le gouvernement français n’eût certainement pas manqué de lui faire, s’il avait consenti à venir habiter le Muséum. Nous sommes donc pleinement convaincu que des calculs d’intérêt n’ont influé en rien sur les opinions professées par un confrère aussi honorable qu’il est justement célèbre. Et d’ailleurs, à