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décès surpasse sensiblement celui des naissances. Ainsi les recherches de M. Boudin, entreprises à un point de vue exclusivement médical et appuyées sur les documens officiels les plus authentiques, réfutent quelques-unes des assertions les plus positives des polygénistes, et confirment tout ce que nous avons dit de ces actions de milieu locales qui introduisent dans les questions relatives aux racés un élément trop facilement oublié.

Un certain nombre d’écrivains polygénistes ont représenté le nègre comme étant complètement insensible à l’action de certaines effluves mortelles pour le blanc ; ils ont cherché dans cette immunité présentée comme absolue un caractère spécifique propre à le distinguer du blanc. Ici encore on a étrangement exagéré la portée et la signification de quelques faits vrais. Les études faites sur place pendant de longues années par le docteur Winterbottom montrent que les indigènes de Sierra-Leone sont atteints de fièvres intermittentes et rémittentes « qui présentent chez eux exactement les mêmes caractères que chez les blancs acclimatés[1]. » Les chiffres recueillis par M. Boudin démontrent jusqu’à l’évidence que, bien qu’étant de tous les hommes ceux qui résistent le mieux aux fièvres de marais, les nègres n’en subissent pas moins l’atteinte et en meurent comme les blancs. Entre ces deux extrêmes d’ailleurs, on trouve encore des intermédiaires[2]. Quel naturaliste voudrait voir un caractère spécifique distinctif dans une particularité quelconque commune à plusieurs groupes de plantes ou d’animaux, ne se manifestant jamais chez tous les individus qui entrent dans la composition d’un seul de ces groupes, se montrant dans tous avec les mêmes caractères, et seulement plus rare chez les uns, plus fréquente chez les autres ?

Au reste, ce qui achève de prouver combien les immunités plus ou moins prononcées dont jouit la race nègre sont loin d’être des caractères d’espèce, ce qui leur donne au contraire à un haut degré le cachet des caractères de race, c’est qu’elles s’acquièrent et se perdent, c’est qu’elles dépendent du milieu. Lors de l’expédition des Anglais sur le Niger en 1841, presque tous les blancs furent atteints de fièvres graves, presque tous les noirs au contraire échappèrent

  1. Prichard, Researches into the physical History of Mankind.
  2. Voici, d’après M. Boudin, la mortalité sur 1,000 hommes occasionnée par les fièvres dans les soldats de cinq provenances différentes que l’Angleterre entretient à l’île de Ceylan :
    Nègres 1,1
    Indigènes de l’Inde 4,5
    Malais 6,7
    Indigènes de Ceylan 7,0
    Anglais 24,6


    On remarquera que les indigènes de Ceylan ne viennent qu’au quatrième rang, et souffrent par conséquent de leur climat natal plus que les populations importées. À lui seul, ce fait suffirait pour réfuter la doctrine de Knox et de ses adhérens.