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sombre. Quand la nuit est tout à fait descendue sur terre, nous apercevons trois incendies qui flambent : ce sont des fermes que les Napolitains ont allumées dans leur retraite.

Le soleil apparaissait au-dessus des monts, quand le lendemain nous rejoignîmes la brigade, qui déjà était en marche ; elle traversait le fleuve Lamato, qui n’est plus qu’un mince filet limpide coulant entre deux larges rives de cailloux. Les rangs de nos soldats sont plus pressés que d’habitude, on marche en meilleur ordre ; des guides ont été envoyés en arrière pour ramener les traînards, notre avant-garde est plus nombreuse que les jours précédens. Attentifs au premier signe de leurs chefs, nos hommes semblent joyeux et comme défatigués. Qu’est-ce donc ? Une dépêche vient d’être remise à Eber et lui apprend que les Napolitains nous attendent, dit-on, à Tiriolo, dont nous sommes séparés seulement par une. douzaine de milles. Nous examinons nos cartes ; la position est bien choisie : Tiriolo couronne une montagne plus élevée que celle de Maïdâv l’aire d’un aigle ne serait pas plus inaccessible.

On hâte le pas, car on a bon espoir de rejoindre enfin cet invisible ennemi qui se dérobe à notre approche et fond comme la neige au vent du sud. La route nous mène à travers des ravins et des défilés, par-dessus de belles collines plantées d’oliviers, devant des fermes où il n’y a plus que des femmes, parmi des champs où paissent les bestiaux. On arrive ainsi, vers onze heures du matin, à Marcellinara, belle petite ville où s’élève une large maison carrée qui a quelques vagues semblans de poste fortifié, et qui est l’habitation d’un gros personnage du pays, le baron San-Severino. Là, de nouveaux ordres nous parviennent et nous arrêtent ; Tiriolo est évacué, rien n’empêche plus de donner aux troupes un repos que leurs marches forcées depuis notre débarquement en Calabre ont rendu nécessaire. Nos hommes sont mal satisfaits, et la joie de se reposer enfin ne diminue pas leur désappointement.

Garibaldi s’attendait si bien à trouver la position de Tiriolo défendue par les Napolitains qui, sous le commandement du général Ghio, avaient abandonné précipitamment Monteleone, qu’il avait adressé l’ordre du jour suivant à ses soldats : « L’Italie depuis quelques mois a mis en vous ses espérances les plus chères. Vous avez souffert beaucoup de privations, et voilà que, pour vous récompenser, je vous demande des privations nouvelles. En vingt-quatre heures, les destinées de notre pays seront décidées. Que cette récompense de vos travaux soit présente à vos yeux ! Je ne doute pas d’un dernier effort de mes compagnons d’armes ! » Les Napolitains, se sentant à Tiriolo entourés par un pays en complète insurrection, cernés de toutes parts et menacés par les chemises rouges, qui accouraient,