Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous quittons la grande route qui conduit à Nicastro, et nous nous jetons sur la droite, par un large chemin, vers Maïda, qui, en haut de la montagne, nous apparaît sombre, aplatie comme une immense carapace de tortue. La pente qui y mène est difficile ; elle est abrupte et grimpe entre deux précipices qui semblent des torrens de verdure, tant les arbres y ont poussé drus et serrés. L’aspect de Maïda est farouche ; on sent que là doit vivre une race forte, demi-sauvage, pleine de rancunes terribles, n’oubliant point les injures et chérissant la vengeance. S’il est vrai, comme l’ont dit les poètes, que les lieux participent de l’âme des hommes qui les habitent, Maïda doit être implacable et hospitalière, douce avec ceux qu’elle aime, sans pitié ni merci dans ses haines. Quand nous y entrâmes, elle était en pleine ardeur comme une ruche de frelons révoltés. Chacun courait aux armes ; des enfans de quinze ans et des vieillards courbés par l’âge se hâtaient de se rassembler sur la place, portant de longs fusils, des cartouchières bourrées de munitions et le fort couteau national passé dans la ceinture de cuir. Un signal avait été donné, et tous ils allaient partir pour rejoindre le baron Stocco, patriote célèbre, exilé depuis 1848, et qui, revenu depuis peu, s’était jeté dans son cher pays des Calabres en l’appelant à la bataille. Chacun s’était levé pour répondre au chef montagnard, et Maïda accourait tout entière. Comme la plupart de ceux qui habitent sur les hauteurs, près du ciel et dans une pure atmosphère, ces hommes me parurent hardis, agiles, bien découplés, musculeux sous leur maigreur ; un front bas, ombragé de cheveux noirs bouclés, des yeux rapprochés d’un nez très accentué donnent à leur physionomie quelque chose d’âpre et de sérieux qui rappelle la tête de l’aigle. Nous étions les deux premières chemises rouges qu’on voyait dans la ville ; aussi nous y fûmes reçus comme on peut penser. Une heure après, Menotti arrivait, prenait le commandement des Calabrais et s’éloignait avec eux.

Ce fut le syndic qui tint à nous héberger lui-même, et nous acceptâmes ses offres avec empressement. Il nous conduisit à son palais ; c’en était un ou quelque chose d’approchant, délabré, il est vrai, habité aux angles des plafonds par les araignées, brisé aux marches des escaliers, écaillé au stuc des murailles, mais de belle construction et d’imposante tournure. Dans une énorme salle peinte à fresque et dallée de marbre, nous fûmes reçus par la mère de notre hôte : c’était une femme âgée, maigre, hautaine, dont les yeux bordés de rouge et sans cils regardaient d’une manière indécise ; sa peau avait cette profonde pâleur de cire qui indique les maladies incurables ; des cheveux bruns cachaient à demi son iront ridé ; elle était tout en noir et debout. Jamais je n’oublierai ce moment. Dès que nous eûmes franchi le seuil, elle marcha vers nous, se prosternant