Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un type différent de la cause, et déclarent que nous y voyons la force efficiente en acte et en exercice. Nous n’y voyons rien de semblable. Nous n’apercevons là comme ailleurs que des successions constantes. Nous ne voyons pas un fait qui en engendre un autre, mais un fait qui en accompagne un autre. « Notre volonté, dit Mill, produit nos actions corporelles, comme le froid produit la glace, ou comme une étincelle produit une explosion de poudre à canon. » Il y a là un antécédent comme ailleurs, la résolution ou état de l’esprit, et un conséquent comme ailleurs, l’effort ou sensation physique. L’expérience les lie et nous fait prévoir que l’effort suivra la résolution, comme elle nous fait prévoir que l’explosion de la poudre suivra le contact de l’étincelle. Laissons donc ces illusions psychologiques, et cherchons simplement, sous le nom d’effet et de cause, les phénomènes qui forment des couples sans exception ni condition.

Or, pour établir ces liaisons expérimentales, Mill découvre quatre méthodes, et quatre méthodes seulement, celle des concordances, celle des différences, celle des résidus, celle des variations concomitantes. Elles sont les seules voies par lesquelles nous puissions pénétrer dans la nature. Il n’y a qu’elles, et elles sont partout. Elles conduisent par une infinité de détours et dans une infinité de directions vers tous les sommets que nos sciences ont atteints. Elles expliquent par leurs limites et leur portée nos impuissances et nos réussites. C’est en les étudiant qu’on peut apprendre pourquoi telle science est achevée, pourquoi telle science est ébauchée, quels moyens transformeront les sciences naissantes en sciences adultes, quels progrès notre connaissance peut faire, quels efforts elle ne doit pas tenter.

Voici cinquante creusets de matière fondue qu’on laisse refroidir et cinquante dissolutions qu’on laisse évaporer ; toutes cristallisent. Soufre, sucre, alun, chlorure de sodium, les substances, les températures, les circonstances sont aussi différentes que possible. Nous y trouvons un fait commun et un seul, le passage de l’état liquide à l’état solide ; nous concluons que ce passage est l’antécédent invariable de la cristallisation. Voilà un exemple de la méthode de concordance : sa règle fondamentale est que « si deux ou plusieurs cas du phénomène en question n’ont qu’une circonstance commune, cette circonstance en est la cause ou l’effet[1]. »

Voici un oiseau qui est dans l’air et respire ; plongeons-le dans l’acide carbonique, il cesse de respirer. La suffocation se rencontre dans le second cas, elle ne se rencontre pas dans le premier ; du reste les deux cas sont aussi semblables que possible, puisqu’il s’agit

  1. Tome Ier, p. 396.