Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens. Dans un village, vers Seminara, ils chantent une chanson en patois que je comprends difficilement ; j’y distingue quelques lambeaux de phrases : « Vive Garibaldi ! — Vivent les chemises rouges ! — Le rouge est la plus belle couleur, — c’est celle du sang versé pour la liberté. — Il met le pied dans la Calabre noire, le héros de Varese, — et voilà que le Bourbon ne règne plus ! »

La route a fait comme Mme de Marlborough, elle a monté si haut qu’elle peut monter ; il faut bien qu’elle finisse par descendre, et comme elle nous descendons au grand trot de nos chevaux, que notre voiture presse de tout son poids. À mesure que les terrains s’abaissent, la végétation méridionale reprend le dessus et règne seule. Avant d’arriver à Palmi, nous entrons dans une forêt d’oliviers tels que je n’en ai jamais vu. Certes les oliviers de la plaine de Smyrne, énormes, larges, contournés de vieillesse, sont beaux, et l’on peut saluer en eux les patriarches de la végétation ; les oliviers de l’Attique, j’entends ceux qu’a laissés debout le vandalisme des Turcs, qui, pendant la guerre de l’indépendance grecque, comblaient les puits, tuaient les bestiaux et coupaient les arbres fruitiers à ras du sol, sont splendides, ombreux, et agitent gracieusement leur tête argentée aux brises venues du golfe d’Égine ; les oliviers du jardin fameux à Jérusalem, malgré les blessures que le temps leur a faites, ont un aspect sévère et attristé qui émeut quand on pense au drame terrible dont ils furent les témoins. Ni les uns ni les autres cependant ne peuvent être comparés aux oliviers de Palmi. L’olivier est toujours bas, gagnant en grosseur ce qu’il perd en élévation, se tordant sur lui-même, économisant son maigre ombrage ; au lieu de s’élancer vers le ciel, il semble chercher la terre, comme pour lui donner plus facilement ses fruits. Ici l’olivier n’est plus un olivier, c’est un arbre feuillu comme nos hêtres d’Auvergne, haut comme nos tilleuls, projetant vers les nuages ses branches vigoureuses, et répandant autour de lui une ombre saine où croissent les fougères. Je les regardais avec admiration, avec envie, et involontairement je me disais ce que j’ai déjà dit si souvent : Ah ! je voudrais vivre là ! Vœu impie, car dans nos époques de lutte et d’agitation la destinée de l’homme est de ne s’arrêter jamais. Le repos n’est pas dans les milieux, il est en soi-même, et je plains de toute mon âme les pauvres Juifs errans qui ne l’ont pas trouvé. Est- il dans la tombe même ? J’en doute ; la mort ne doit être qu’un relais.

Derrière ces oliviers merveilleux, à travers leur feuillage découpé qui m’apparaissait noir, le soleil se couchait,

Large et couleur de feu comme un manteau de guerre.


L’horizon, plein de fauves ardeurs, semblait une nappe vermeille sur laquelle la forêt appliquait sa gigantesque silhouette ; les faisceaux