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des plus remarquables grâce au climat, à la fécondité du sol, grâce aussi à l’intelligente énergie des colons. Le pays fournit déjà plus de blé et plus de vin qu’il n’en saurait consommer. On estime que la récolte en blé de la Californie a été en 1860 de 2,300,000 hectolitres, ou 360,000 hectolitres de plus qu’en 1859. Comme la consommation locale ne dépasse pas un million d’hectolitres, l’excédant de la récolte donne lieu à une immense exportation, qui est l’un des principaux élémens du commerce extérieur de San-Francisco. Ensuite viennent l’orge et l’avoine, l’orge surtout, dont la récolte pour la seule Californie en 1858 égalait déjà la production totale des États-Unis en 1850, soit 2 millions d’hectolitres. Les bois de construction, le mercure, la laine, le suif, les peaux et les cuirs, les pommes de terre, les oignons, le saumon salé, se présentent en troisième ligne avec d’autres articles secondaires. Au-dessus de tout est le précieux métal, l’or, dont l’exportation, à chaque départ du courrier maritime inter-océanique, qui a lieu trois fois par mois, atteint encore aujourd’hui l’énorme valeur de 5 ou 6 millions de francs.

Tant de richesses ont été pour ainsi dire l’objet d’une perpétuelle conquête. Sur les mines, par exemple, il y a eu dans les premiers jours des luttes sanglantes. Des partis ennemis se sont tour à tour disputé, les armes à la main, l’exploitation de certains placers. La propriété des terrains et des champs a dû être aussi défendue par les possesseurs légitimes contre les attaques brutales des squatters ou envahisseurs. Et cependant, si l’on jette aujourd’hui les yeux sur la Californie, dont les enfantemens ont été à la fois si tourmentés et si féconds, dont l’incendie a plusieurs fois dévoré entièrement les villes à mesure qu’elles se formaient, dont l’action des tribunaux réguliers a dû être un moment remplacée par la loi de Lynch et les comités de vigilance, on n’y trouve plus qu’une contrée paisible et prospère, partout peuplée, et d’où l’Indien sauvage a presque entièrement disparu. La Californie, avec ses émigrés de toute origine, animés de la fièvre de l’or, souvent de passions plus mauvaises, et séparés par une distance incommensurable de tout pays civilisé, est devenue en peu d’années, et malgré tant de conditions défavorables, une contrée tranquille, jouissant d’une constitution des plus démocratiques, qu’elle s’est elle-même donnée dès la première année de sa naissance. La liberté d’action presque illimitée dont on jouit dans le pays, mais surtout le travail, le travail largement rémunérateur, ont été pour les émigrés comme deux planches de salut où tous leurs fâcheux instincts sont venus échouer. Chacun s’est senti relevé à ses propres yeux en devenant citoyen d’une nouvelle patrie qui ouvrait si largement ses portes. Dans l’ordre social, un pareil phénomène ne sera pas un des faits les moins curieux de notre siècle, et le philosophe, dans la naissance et la formation de ce nouvel état, peut étudier comment grandissent les nations, et quels bienfaits la liberté amène avec elle.

On accuse volontiers les Américains de ne songer qu’à leurs intérêts matériels