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C’est d’eux que nous avons tiré la proposition générale, ce sont eux qui lui communiquent sa portée et la vérité ; elle se borne à les mentionner sous une forme plus courte ; elle reçoit d’eux toute sa substance ; ils agissent par elle et à travers elle pour amener la conclusion qu’elle semble engendrer. Elle n’est que leur représentant, et à l’occasion ils se passent d’elle. Les enfans, les ignorans, les animaux, savent que le soleil se lèvera, que l’eau les noiera, que le feu les brûlera, sans employer l’intermédiaire de cette proposition. Ils raisonnent, nous raisonnons aussi, non du général au particulier, mais du particulier au particulier. « L’esprit ne va jamais que des cas observés aux cas non observés, avec ou sans formules commémoratives. Nous ne nous en servons que pour la commodité. » — « Si nous avions une mémoire assez ample et la faculté de maintenir l’ordre dans une grosse masse de détails, nous pourrions raisonner sans employer une seule proposition générale. » Ici, comme plus haut, les logiciens se sont mépris : ils ont donné le premier rang aux opérations verbales ; ils ont laissé sur l’arrière-plan les opérations fructueuses. Ils ont donné la préférence aux mots sur les faits. Ils ont continué la science nominale du moyen âge. Ils ont pris l’explication des noms pour la nature des choses, et la transformation des idées pour le progrès de l’esprit. C’est à nous de renverser cet ordre en logique, puisque nous l’avons renversé dans les sciences, de relever les expériences particulières et instructives, et de leur rendre dans nos théories la primauté et l’importance que notre pratique leur confère depuis trois cents ans.


IV

— Je ne discute pas encore, j’écoute. À tout le moins, ceci est neuf. Il fallait un esprit hardi pour refaire la théorie de la preuve. Reste une sorte de forteresse philosophique où se réfugient les idéalistes. À l’origine de toutes les preuves il y a la source de toutes les preuves, j’entends les axiomes. Deux lignes droites ne peuvent enclore un espace ; deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles ; si l’on ajoute des quantités égales à des quantités égales, les sommes ainsi formées sont encore égales : voilà des propositions instructives, car elles expriment non des sens de mots, mais des rapports de choses, et de plus fécondes, car toute l’arithmétique, l’algèbre et la géométrie sont des suites de leur vérité. D’autre part cependant elles ne sont point l’œuvre de l’expérience, car nous n’avons pas besoin de voir effectivement et avec nos yeux deux lignes droites pour savoir qu’elles ne peuvent enclore un espace ; il nous suffit de consulter la conception intérieure que nous en avons : le témoignage