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jours la distance entré l’extrême limite télégraphique actuelle des états de l’est et la même limite télégraphique de la Californie. Ces limites sont à cette heure pour les états de l’est Fort-Kearny et du côté du Pacifique Fort-Churchill, dans l’Utah, au-delà de la limite est de la Californie. La distance entre les deux stations extrêmes est de seize cents milles ou six cent cinquante lieues. C’est cette distance que le poney franchit d’ordinaire en dix jours, faisant en moyenne 10 kilomètres à l’heure. Cheval et cavalier, comme bien on pense, se renouvellent à chaque station. C’est cette même distance que le poney, doublant sa vitesse et trottant jour et nuit, galopant au besoin, peut franchir en cinq jours. Une dépêche pourrait donc être reçue en six jours de New-York à San-Francisco, et un télégramme de deux cents mots, lancé à travers les déserts, arriver de l’Atlantique sur le Pacifique au prix de 5 dollars ou 25 francs. Toutes ces merveilles, que l’esprit a peine à comprendre, sont aujourd’hui réalisées. Non-seulement le poney est arrivé le 12 novembre 1860 à San-Francisco, apportant des nouvelles d’Europe du 21 octobre, c’est-à-dire vieilles à-peine de vingt et un jours, mais encore, à la suite de la grande élection présidentielle du 6 novembre, le poney a franchi en six jours l’espace qui sépare les deux limites télégraphiques extrêmes des États-Unis entre les deux Océans. L’état de Californie, éloigné de Washington de plus de douze cents lieues par terre, a pu connaître ainsi le nom de l’heureux élu, M. Lincoln, six jours seulement après le dépouillement des votes.

Les émigrans pauvres viennent encore à pied des derniers états de l’ouest en Californie. Ils partent avec d’énormes wagons, où ils chargent leurs vivres et leurs bagages, et suivent à peu près la même route que la malle de terre. La caravane se réunit à Independence ou à Saint-Joseph, centres de population avancés de l’état de Missouri. Des familles entières se groupent autour des wagons de voyage, qui vont les entraîner dans le far west. Là s’étendent ces immenses prairies, ces plaines sans fin, au milieu desquelles s’élèvent quelques forêts vierges impénétrables. La hache inflexible du pionnier, qui abat les arbres pour défricher le sol, est le seul bruit qui y trouble le calme profond de ces asiles. Quelquefois des déserts arides succèdent aux prairies et aux bois. Le courageux colon américain, toujours en avant, quelques hardis trappeurs canadiens, enfin des hordes nomades d’Indiens armés de flèches, sont les seuls êtres humains que l’on rencontre çà et là. Des troupeaux d’antilopes et de bisons viennent aussi par momens interrompre la monotonie du paysage. Les émigrans mettent souvent plus de deux mois pour rejoindre le pied des Montagnes-Rocheuses, et de là encore deux mois au moins pour arriver en Californie[1]. Souvent des maladies contagieuses déciment la caravane en marche, quelquefois l’herbe

  1. La distance totale que les immigrans ont à parcourir par la voie des Montagnes-Rocheuses est d’environ huit cent cinquante lieues.