Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait-on presque sans fatigue de très longs voyages, d’une durée quelquefois de plusieurs jours. Seuls, les nègres et les Chinois sont sacrifiés sur les rail-ways comme ailleurs ; on leur assigne en Californie, suivant la coutume américaine, un caisson à part où, alignés sur des bancs de bois, ils jouissent du seul droit qu’on leur concède, d’attendre que le voyage soit au plus tôt terminé.

Les routes de terre en Californie sont loin d’être aussi commodes que les chemins de fer. À peine tracées, elles ne sont nivelées que sur les points où la nature a laissé à l’homme tout seul le soin de se ménager un passage, comme dans la traversée des montagnes ou le passage des rivières. Il en résulte que ces routes condamnent le voyageur à l’une des plus rudes épreuves auxquelles il puisse être soumis. Ce n’est pas que la voiture ne soit bonne. Fait comme ces énormes véhicules, style Louis XIV ou Louis XV, que l’on voit représentés sur nos anciennes gravures, le stage, — ainsi l’appellent les Américains, — est suspendu avec soin sur des ressorts en acier malléable. Neuf places occupent l’intérieur, toutes égales pour le prix : trois en avant, trois en arrière, trois au milieu. Les places d’avant sont généralement réservées aux dames. Les places du milieu sont peut-être les meilleures, bien qu’on n’y soit soutenu sur son siège que par une bretelle de cuir qui va transversalement d’une portière à l’autre, et qui prend le voyageur par le dos. Inutile de dire que les mœurs démocratiques des États-Unis ne permettent pas l’usage du coupé ni de la rotonde. Quelques sièges, pour ceux qui ne craignent pas les coups de soleil, sont réservés sur l’impériale de la voiture, à côté du conducteur. Là se placent, avec une partie des colis, les voyageurs curieux d’observer le paysage. Les Chinois occupent aussi ce poste, car on ne les souffrirait guère dans l’intérieur.

Le véhicule est parfaitement rembourré. Sur les panneaux de l’intérieur ’est déployé un luxe de peintures dont l’étranger demeure surpris. Le plafond et les portières sont tapissés de tableaux aux couleurs vives, représentant de belles campagnes ou des nymphes très décolletées. Le postillon est l’automédon le plus habile que les deux mondes puissent offrir. Imperturbablement, fixé sur son siège, il conduit à grandes guides les quatre ou les six bucéphales confiés à sa main assurée. À chaque poste on relaie, et les voyageurs descendent un instant pour échapper à la poussière intolérable de la route, à la chaleur plus insupportable encore de l’intérieur. On fait de cette façon de 12 à 14 kilomètres à l’heure, soit plus de trois lieues. Les voyageurs ne se ressentent que trop de la manière rapide dont on avance. Les cahots les plus violens lancent les infortunés novices au plafond du véhicule, et ils retombent ensuite lourdement sur leur siège. Dans les pays montagneux, le coche est remplacé par ce qu’on appelle un wagon. C’est une vraie charrette non suspendue, et sur les côtés de laquelle tombent des portières de cuir noirci, pour garantir l’intérieur de la poussière et du soleil. Le voyageur est moulu, il est brisé après une ou deux heures. Les