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luttes électorales. Une ville s’est trouvée, la ville de Grenade, qui avait un député à élire et qui désirait très fort un chemin de fer. Jusque-là tout est simple ; voici où la question s’engage et où apparaît le lien entre la députation et le railway. Il y avait un candidat, homme des plus honorables du pays d’ailleurs, qui offrait de se charger de la construction du chemin de fer moyennant une subvention de la province, lorsque tout à coup apparut un personnage nouveau, bien connu en Espagne par son habileté, par son esprit d’entreprise, par la hardiesse de ses procédés en matière d’industrie : c’était M. Salamanca, qui ne figure plus au congrès depuis quelque temps, et qui venait briguer la députation à Grenade en offrant, quant à lui, de faire le chemin de fer sans subvention d’aucune espèce. M. Salamanca au reste n’allait point par voie détournée : il posait nettement la question. Si son concurrent voulait s’engager à construire, lui aussi, le chemin sans subvention, il était prêt à se désister de toute candidature. Le concurrent ne se sentit pas assez riche pour assumer une telle charge ; il se retira devant les magnificences du célèbre banquier de Madrid, et M. Salamanca fut élu à l’unanimité député de Grenade. Quelques députés du congrès n’ont pas trouvé l’opération absolument régulière ; ils en ont même conclu que c’était une élection à l’adjudication, au plus offrant. Il en est résulté une discussion très longue, singulièrement vive, mais qui a laissé M. Salamanca investi du mandat de député de Grenade, et ce qu’il y a de singulier, c’est que l’élection a trouvé des défenseurs dans M. Gonzalez-Bravo, qui est l’un des chefs de l’opposition modérée, et dans M. Olozaga, l’un des chefs de l’opposition progressiste. Ce n’est pas au surplus que M. Salamanca mît un grand prix à être député ; il a traité la chose en grand seigneur, et a déclaré dès le premier moment qu’il n’y tenait pas, que cela n’ajoutait rien à son importance ; il voulait seulement faire plaisir à Grenade. Les sceptiques ajoutaient tout bas que, préoccupé uniquement du chemin des Alduides, auquel il est fort intéressé comme administrateur et comme entrepreneur de la ligne de Saragosse à Pampelune, il tenait à se ménager pour le moment voulu l’appui de la députation de Grenade dans le congrès. Il n’y a que les mœurs constitutionnelles de l’Espagne qui souffrent quelque peu dans ces combinaisons, et voilà comment trop d’habileté peut compromettre quelquefois une question comme celle d’une seconde ligne de communication ferrée avec la France, qui, en dehors de tout, trouverait facilement et naturellement l’appui de tous les intérêts des deux pays.

Politique et chemins de fer, crises ministérielles et scènes électorales, ce ne sont pas là cependant les seuls élémens des polémiques en Espagne dans ces derniers temps. Quelque chose de cette agitation religieuse qui est un peu partout aujourd’hui souffle aussi au-delà des Pyrénées, et se manifeste quelquefois d’une façon étrange par quelques-unes de ces intempérances du clergé qui vont réveiller et secouer l’esprit libéral. Un homme, un poète dramatique, qui a été l’honneur de l’Espagne, M. Antonio Gil y Zarate est mort, il y a peu de jours, à Madrid, Ce n’était pas seulement un