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d’abord que le débat puisse avoir un résultat positif, immédiat, visible, saisissant, ensuite que les deux opinions contraires qui ont à se prononcer sur les questions proposées soient représentées par des partis organisés et disciplinés. La bonne direction d’un débat implique la discipline des orateurs qui veulent y prendre part, et pour que les membres d’une assemblée acceptent l’organisation et la discipline que les interprètes d’une opinion doivent établir entre eux, il faut qu’ils soient pénétrés de l’idée qu’ils sont appelés à exercer une influence immédiate et positive sur la direction des affaires. Avec cette organisation et cette discipline, on évite le décousu des discours ; on échappe aux invasions, aux incursions, aux charges des enfans perdus à travers le débat. Voilà ce qui a manqué à la discussion de l’adresse au sein du sénat, voilà pourquoi les enfans perdus y ont occupé une si grande place. Les opinions ne sont point organisées dans le sénat, et l’on ne voit pas en effet ce qui en motiverait l’organisation, puisque la supériorité d’une opinion sur une autre opinion qui aurait le dessous dans le vote (fût-elle celle du gouvernement) n’entraînerait aucune de ces conséquences qui accompagnent ordinairement le triomphe d’une majorité. L’intérêt qui introduit la discipline dans les assemblées fait ici défaut. On en peut avoir l’idée par le vote qui a eu lieu à propos de l’amendement relatif à la question romaine. L’amendement, à la vérité, n’a point obtenu la majorité ; il a été repoussé par une majorité de dix-huit voix. Cependant, comme cette majorité comprend dix ministres et un certain nombre de grands-officiers de la couronne, il est visible qu’en faisant abstraction des voix qui appartiennent directement au gouvernement, dont la politique était en cause, la majorité dans le reste du sénat appartenait à l’amendement. Un tel vote sous une constitution qui eût donné aux assemblées une influence directe sur le pouvoir et qui eût permis aux ministres de ressentir des susceptibilités parlementaires eût peut-être entraîné la retraite d’un cabinet et l’adoption, de la part du gouvernement, d’une politique conforme à l’opinion qui paraissait prévaloir dans le sénat. Nous enregistrons cette observation, parce que nous sommes au début d’une expérience, parce que nous sommes en train de recommencer notre éducation politique : des épreuves semblables se présenteront à coup sûr et fourniront matière à des observations analogues. Ces observations, en se multipliant et s’accumulant, nous apprendront peut-être à souhaiter et nous aideront à obtenir de nouveaux progrès constitutionnels.

Nous commençons, disons-nous, une expérience. En effet, c’est un essai tout nouveau, il nous sera permis de le constater, que de placer le gouvernement en présence d’assemblées appelées à discuter l’ensemble et les détails des affaires publiques, en voulant toutefois tenir le gouvernement en dehors des assemblées. Sous le premier empire et même dans la période du régime actuel qui a précédé le décret du 24 novembre, le problème était certainement moins difficile à résoudre. Les séances du sénat et du corps législatif n’étaient point publiques sous le premier empire ; sous le second,