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couché, collé sur sa victime, dont ses pattes énormes pressaient le corps, et dont le cou, entr’ouvert sans doute, était comprimé entre ses mâchoires distendues.

Entre nous et lui, pas une touffe de gazon, pas un buisson, pas une feuille ; à vingt yards en-deçà du groupe sanglant, de notre côté, un seul arbre, dont la branche la plus basse était à trente pieds du sol. Le terrain, vous le voyez, ne m’était pas des plus favorables. Je repoussai cependant Mangkalee, qui voulait rester devant moi, et, me dérobant du mieux que je pus à l’aide de l’arbre en question, j’avançai rapidement. — Si une fois je suis abrité par ce tronc, disais-je mentalement à mon ennemi, je ne te garantis pas une longue suite d’années. — Le tigre heureusement était tout à son affaire. Il ne m’entendit pas, et je pus, sans qu’il bougeât, appuyer mon fusil au tronc d’arbre qui me cachait ; mais une fois là, il fallut attendre. Les deux animaux étaient, je l’ai dit, comme collés l’un à l’autre, leurs queues dans notre direction. Le dos du tigre abritait sa tête, et aucune de ses parties nobles ne s’offrait à mes balles. À quarante yards d’ailleurs, une carabine rayée ordinaire ne porte pas toujours juste. La force de la charge fait varier de quatre à six pouces la hausse du coup. Le bonheur voulut que j’eusse ce jour-là mon « Wilkinson, » dont j’avais tout récemment éprouvé le tir, et qui portait de but en blanc à quatre-vingt-dix yards sans aucune parabole appréciable.

Enfin, après une minute ou deux d’anxiété, le bouvillon fait un mouvement convulsif, et lance une ruade au tigre. Celui-ci, l’éteignant, l’étouffant de plus belle, recourbe son dos, s’arque au-dessus de sa victime, et dans ce mouvement expose de mon côté son ventre au blanc pelage. C’est là que je vise, en prenant soin de ne pas brusquer la détente, et comme le tigre était un peu incliné à gauche, j’avais chance de le frapper au cœur. Figurez-vous que vous avez pour cible un joli petit œuf, et que le prix à gagner est de 1,000 guinées : vous aurez peut-être quelque idée du soin que j’apportais à cette opération délicate.

Ma balle, sans nul doute, alla où je l’envoyais ; mais, — à ma très grande surprise, — le tigre, avec un cri de rage, bondit à quelques pieds en l’air, et retombant roule plusieurs fois sur lui-même dans la direction que lui imprime la pente du terrain, c’est-à-dire vers moi ; puis, comme si de rien n’était, il se remet sur ses pattes, et dévale toujours de mon côté, vers la montagne, dont les roches les plus voisines n’étaient pas à plus de quarante yards.

Je vous l’avouerai, mon cœur en ce moment battait un peu plus vite qu’à son ordinaire ; — mais bah ! pensais-je, aucune bête, si féroce fût-elle, n’a vu mon dos et ne peut dire si je suis bossu. — Aussi,