Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsqu’ayant débouché du bois, il sera très engagé dans la plaine. Le plus fier coursier d’Arabie, — me croirez-vous ? — ne joindrait pas dom pourceau dans le premier feu de sa fuite, et ne parviendrait pas à lui couper la retraite, si sa seigneurie voulait alors rentrer sous l’abri protecteur. — Je suppose que vous êtes des nôtres. Si je vous veux du bien, je n’irai pas vous appareiller avec un chasseur inexpérimenté. Vous n’auriez pas la moindre chance, fussiez-vous cent fois mieux monté. L’expérience ici vaut mieux que la plus belle ardeur du sang le plus généreux. Nos batteurs, outre leurs voix, ont des gongs, des cors, des crécelles, etc. S’en serviront-ils ? Cela dépend. Il est des jungles qu’on bat mieux sans faire de bruit. Les bunjaries ou voituriers de grains, qui chassent le porc sauvage à pied et armés de lances, avec l’assistance de leurs chiens, emploient d’ordinaire la méthode muette. En certains endroits, le tapage est de rigueur.

Le porc est trouvé. Il va, trottinant, d’un bouquet d’arbres à l’autre, sans trop de hâte ni d’effroi. — Wuh jata hai !… Le voilà ! crient de temps en temps les batteurs. — Et enfin un coup de pistolet à la lisière du bois annonce que l’animal est en plaine. Chaque cavalier a frissonné de plaisir à ce signal attendu. — Ride ! ai-je crié. Mes couples, — j’entends ceux qui ont chance de rejoindre le fuyard, — prennent le galop. Vous aurez sans doute le bon sens de suivre tout simplement, novice que vous êtes, la trace de l’ancien à qui je vous suppose marié. Il vous met en vue de maître Bruïn, qui ne paraît point trop ému, et qui vous laisse par ses allures tranquilles l’espoir de le rejoindre bientôt. Effectivement vous croyez le tenir, quand un bond subit l’éloigné de vous. Votre compagnon à barbe grise vous a laissé par politesse la meilleure main, c’est-à-dire que vous avez la bête à votre droite, immédiatement sous votre lance. Le tout est de trouver son temps pour la frapper. Dans l’espace d’un mille, cette occasion vous échappe deux ou trois fois, à votre grande surprise. Alors, las de tant de maladresse, l’ancien pique des deux, vous devance, tourne à gauche, et encore à gauche, de manière à revenir sur l’animal, qui reçoit à demi la charge, et qu’il pique bellement à deux ou trois reprises. — First spear ! ., première lance ! vous dit-il ensuite à demi-voix, et le sang vous monte au visage comme s’il vous avait cravaché. — Dame ! le début n’a rien d’agréable… Le prix, pour cette fois, est perdu.

Bruïn a roulé dans la poussière, mais il n’est point mort, et gare à vous si, dans le premier élan de sa douleur furieuse, venant à foncer sur le premier ennemi venu, c’est vous qu’il attaque. Bon ! vous l’avez atteint ;… mais la lance, fixée dans son dos, échappe à vos mains inexpérimentées, et il l’emporte avec lui, trophée payé de