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l’autre, voulurent célébrer par des monumens la délivrance de l’Afrique. Le temps a préservé deux des inscriptions votées à cette occasion, et le nom d’Arcadius s’y trouve uni à celui de son frère, comme si la guerre contre Gildon avait été faite d’accord et sous les auspices des deux princes. La cour d’Orient accepta ces avances, sans que le cœur d’Arcadius en fût grandement touché. Quant aux deux ministres, leur haine resta plus implacable qu’auparavant.

Stilicon sortait de la lutte grandi dans l’opinion des peuples et raffermi dans son pouvoir : Eutrope en sortait à la fois vaincu et triomphant. Sans doute il avait échoué dans sa prodigieuse entreprise, applaudie pourtant à Constantinople, d’étendre jusqu’aux colonnes d’Hercule les domaines de l’empire oriental et d’amoindrir tellement l’autre que Rome ne fût plus que la seconde ville de l’univers romain ; mais il avait remporté une grande victoire personnelle. Le vil esclave stigmatisé du fouet, la vieille amazone, l’eunuque en un mot venait de prouver qu’il était homme et ennemi redoutable. Stilicon avait tremblé devant lui, les fiers patriciens des sept collines lui avaient demandé la paix à genoux, et il avait affamé Rome. Tout autre orgueil eût été satisfait, le sien était sans mesure. Il voulut être consul et, quoiqu’on en pût rire, patrice, c’est-à-dire père du prince. Arcadius, heureux d’avoir fait peur à son frère, conféra comme récompense ce nouveau titre à son ministre, en le désignant consul pour l’année suivante, 399. Le consulat, commun aux deux empires en ce qu’il donnait aux lois leur date et à l’année romaine son nom, devait entraîner, comme conséquence directe, la reconnaissance d’Eutrope par l’Occident et son inscription dans les fastes de ce Capitole qu’il avait un moment ébranlé : c’était de sa part le comble de l’audace, mais aussi, on le verra bientôt, ce fut l’évocation des tempêtes.


AMEDEE THIERRY.