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métis se serait à la fois légèrement modifié et quelque peu amélioré sous l’influence d’une liberté complète. Quant aux Griquas, Prichard a eu le tort de les regarder comme représentant à eux seuls la population entière des Bastards ou Baslers, issus du croisement des races hollandaises et hottentotes. Ses contradicteurs sont tombés dans la même erreur. De là est résultée une confusion qui a pu donner aux argumens des polygénistes une apparence de fondement, mais qu’il est aisé de faire disparaître en résumant les principaux détails donnés par divers voyageurs[1].

D’après Nott, MM. Hombron et Jacquinot auraient regardé comme infertile le croisement du blanc avec le Hottentot. Nous avons vainement cherché cette assertion dans les écrits de nos compatriotes. En tout cas, l’exemple serait malheureusement choisi. Levaillant, qui ne songeait guère à la question qui nous occupe ici, s’exprime à ce sujet dans les termes suivans : « Les Hottentotes obtiennent de leurs maris trois ou quatre enfans tout au plus. Avec les nègres, elles triplent ce nombre, et plus encore avec les blancs. » Nous retrouvons donc au Cap ce que M. Hombron avait observé en Amérique. Loin de diminuer, la fécondité s’accroît dans la race locale par le croisement avec les races étrangères. Là d’ailleurs, comme dans toutes les anciennes colonies, le blanc rejetait dans les derniers rangs de la société ces fils qu’il avait mis au monde. Une loi interdisait le mariage légal entre les indigènes et les étrangers[2] ; le Bastard n’était même pas baptisé. « Cette race, ajoute Levaillant, multiplie beaucoup. » Le même voyageur estime à un sixième de la population hottentote le chiffre de ces métis[3]. Plus actifs, plus turbulens que les Hottentots, ils inspirèrent des craintes, et on les refoula le plus possible dans l’intérieur des terres. La plupart d’entre eux franchirent les déserts, s’établirent au-delà de l’Orange, et là, en guerre avec les deux races dont ils étaient le produit adultérin, ils se livrèrent au plus effréné brigandage, et se rendirent redoutables. En 1799, des missionnaires tentèrent pour la première fois, mais en vain, de les amener à un autre genre de vie. En 1803, deux autres missionnaires, Anderson et Kramer, firent un nouvel essai. Ils s’attachèrent à leurs hordes errantes et les suivirent pendant cinq ans. Cette persévérance porta ses fruits. Un certain

  1. Entre autres par Kolbe, Levaillant, Burchell, Thompson, Moffat, Livingstone, Arbousset, Daumas, et M. Cazalis, qui a bien voulu nous communiquer quelques faits précis et inédits.
  2. Arbousset et Daumas.
  3. La colonie du Cap fut fondée en 1650 ; le voyage de Levaillant est de 1783. Ainsi c’est dans l’espace de cent vingt-huit ans environ que le nombre des métis avait acquis cette proportion.