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argument pour prouver le peu de chasteté des Australiennes ; par conséquent aussi tous deux démontrent, sans même se douter que la question ait pu être posée, combien les assertions de M. Jacquinot sont inexactes, combien peu on est en droit de les invoquer à l’appui des doctrines polygénistes.

« A Hobart-Town et sur toute la Tasmanie, ajoute M. Jacquinot, il n’y a pas davantage de métis, » et ce second passage, tout aussi affirmatif que le précédent, a été également reproduit par Nott, cité par les polygénistes. Cette fois du moins personne n’ajoute que les noirs et les blancs vivent en contact dans cette île. On sait comment les choses s’y sont passées. C’est en 1803 qu’un premier noyau de soldats, de colons et de convicts anglais, partis de Port-Jackson, tenta de s’implanter sur cette terre. Vingt-sept ans après, l’île entière était occupée. L’immense majorité de la population noire avait succombé ; mais le peu qui restait gênait les nouveaux occupans. La loi martiale fut proclamée, et une véritable traque, que Darwin a justement comparée à celle qu’on pratique dans les grandes chasses de l’Inde[1], fut organisée. La colonie fournit un volontaire sur six hommes et dépensa près de 700,000 francs[2] ; mais aussi la race nègre tout entière fut promptement exterminée ou réduite à se livrer. Des terres lui furent assignées d’abord à Great-Island ; puis en 1835 on transporta tout ce qui en restait dans l’île Flinders. Au dire du comte Strzelecki, on comptait à cette époque 210 individus ; en 1838, il. n’en restait que 82 ; en 1842, cette population était réduite à 44, et il n’était né que 14 enfans depuis la transportation[3] ; en 1852, les naissances avaient complètement cessé, et quelques vieillards survivaient seuls[4]. Aujourd’hui sans doute il ne reste plus de cette race que les bustes rapportés par M. Dumoutier et déposés dans les collections du Muséum[5]. Certes, alors que de pareils rapports règnent entre le peuple conquérant et le peuple conquis, il serait peu surprenant que le nombre des croisemens et par suite des métis fût peu considérable. Pourtant M. de Blosseville, l’écrivain qui a le plus étudié les colonies pénales de l’Angleterre, constate qu’à l’origine on voyait plus de métis en Tasmanie qu’à Sidney, et nous

  1. Journal of Besearches into the natural history and geology.
  2. M. de Blosseville.
  3. Cette diminution dans la fécondité est d’autant plus remarquable que Pérou avait été frappé du grand nombre des enfans.
  4. M. de Blosseville.
  5. Cette destruction complète d’une race spéciale, dont les caractères exceptionnels avaient frappé tous les voyageurs, qui avait sa langue particulière heureusement recueillie en partie Latham, est un fait bien frappant et propre à faire comprendre comment il pourrait se présenter dans l’échelle graduée des races humaines quelques lacunes appréciables soit au point de vue physique, soit au point de vue linguistique.