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demandant aux anthropologistes dont il s’agit de s’occuper sérieusement des espèces avant de prononcer que l’espèce en général est autre chose que ce qu’ont vu en elle l’école philosophique comme l’école positive, Lamarck comme Cuvier.

Mais, dira-t-on, l’accord dont vous parlez n’existe que pour l’état actuel des choses ! Dès qu’ils cherchent à s’élever au-dessus du fait qui les presse et les domine, dès qu’ils veulent s’en rendre compte et remonter aux origines, les naturalistes ne s’entendent plus ; la guerre fait place à la paix. — Cela est vrai, et en cela même se trouve la justification de la marche adoptée dans ces études. On nous a accusé d’être timide ; nous croyons n’avoir été que prudent. Eh ! mon Dieu ! aussi bien que personne nous connaissons par expérience ces curiosités violentes, ces élans impérieux de l’esprit qui emportent l’homme le plus sage par-delà les temps et les espaces. Comme tous ceux qui sondent les secrets de la nature, nous avons eu contre ces mystères nos momens d’irritation et de révolte. Fatigué de ces que sais-je ? de ces je ne sais pas, que le savant est si souvent forcé de se répéter à lui-même, nous avons maintes fois délaissé le champ du réel pour voyager par la pensée dans le monde du possible. Nous nous sommes fait à nous-même maint roman que nous trouvions très beau ; mais la facilité avec laquelle nous en changions du tout au tout le cadre et les détails nous éclairait sur la nature de ce roman, et voilà pourquoi, dès qu’il s’agit de science vrai, nous en revenons bien vite aux temps, aux lieux que peuvent atteindre l’expérience, l’observation, c’est-à-dire à la période actuelle, à la nature que nous connaissons.

« Il y a au commencement de toute chose une période de formation dont notre vie embryonnaire est une assez fidèle image[1]. » Cela est vrai, au moins sur notre globe. Notre planète et tout ce qui lui appartient, corps bruts et êtres organisés, ont subi des révolutions, ont traversé des états divers ; la géologie en fait foi. Dans ces âges primitifs, les conditions générales étaient loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui. Il est donc bien possible que les manifestations de la vie fussent autres que de nos jours. Il est possible que les affinités, les alliances, la fécondité des animaux ne fussent pas renfermées dans les limites actuelles. Il est possible que les espèces d’alors fussent beaucoup plus variables que celles d’à présent, bien que rien ne paraisse l’indiquer. Il est possible que l’hybridation fût à ces époques aussi aisée que le métissage l’est encore, et que les hybrides se soient constitues en espèces intermédiaires, quoique la paléontologie ne nous apprenne rien à cet égard. Il est possible enfin

  1. M. Broca, Recherches sur l’Hybridité animale.