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et toujours sous la même forme. À qui soutient la réalité, la permanence des espèces et à plus forte raison l’unité de l’espèce humaine, les railleries, les sarcasmes, les injures même n’ont jamais manqué depuis que ces questions s’agitent. Il est à regretter de voir les polygénistes employer de nos jours encore ces armes de mauvais aloi. L’école américaine, pas plus que les autres, n’échappe à ce reproche. Pour elle, le monogénisme est tout au moins une hypothèse rétrograde, fondée uniquement sur des préjugés traditionnels et un esprit de secte indigne du XIXe siècle ; c’est un dogme et non pas une doctrine scientifique ; la raison, affranchie par la science, doit savoir s’élever plus haut, et sur ce thème bien rebattu, elle sème quelquefois des plaisanteries spirituelles, parfois aussi de bien lourdes déclamations. Après ces marques de dédain, après ces flores déclarations, on s’attend naturellement à voir cette école-rester sur le terrain scientifique et abandonner aux théologiens, si rudement traités par elle, le terrain des livres de Moïse. Eh bien ! non. Plus elle a attaqué le dogme en opposition avec ses théories, plus elle semble éprouver par momens le besoin de réconcilier celles-ci avec la Bible. En Amérique, les représentans les plus distingués de cette école, suivant la voie ouverte par La Peyrère, ont publié dans cette direction des travaux considérables[1], et, à en juger par les comptes-rendus de quelques séances de sociétés ou de meetings scientifiques, les polygénistes ont mêlé la théologie à l’anthropologie tout autant que leurs adversaires. Pourquoi donc se montrer si sévères envers ces derniers et leur reprocher avec tant d’âpreté précisément ce qu’ils sont toujours prêts à faire eux-mêmes ?

Les polygénistes européens tombent plus rarement dans la contradiction que nous venons de signaler. Ont-ils le droit pour cela d’employer le même langage et d’opposer aux partisans du monogénisme une sorte de fin de non-recevoir fondée sur la concordance de cette doctrine avec un dogme quelconque ? Évidemment pas davantage. Il y a deux manières d’être esclave d’un livre, d’une croyance. Celui qui nie partout et toujours ce qu’il y trouve ou croit y trouver n’est pas plus libre de préjugés que celui qui affirme aveuglément les mêmes choses. Qu’on aille chercher dans la Bible des raisons pour ou contre, qu’on veuille arguer de la vérité ou de la fausseté d’un dogme pour résoudre une question d’histoire naturelle, ce sera toujours mêler à la science des considérations d’un autre ordre. Peu importe que le point de départ soit une affirmation ou une négation. Pour être de la théologie retournée, ce n’en sera pas moins de la théologie. Ainsi, à qui ne parle qu’au nom de la

  1. Voyez surtout les Types of Mankind.