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de balance qu’il s’agit tout simplement d’établir entre la perte à supporter et les ressources dont on dispose pour couvrir cette cause volontaire de déficit.

Une des tentations auxquelles doit surtout résister le propriétaire qui devient cultivateur, c’est celle des succès officiels et de l’éclat éphémère des cultures d’apparat. Les primes et les médailles ne sont pas méprisables, et le choix de nos exemples parmi les lauréats des primes d’honneur prouve que nous apprécions l’autorité morale que confèrent ces nobles récompenses ; mais il ne faut pas oublier que, pour les obtenir, on entre souvent dans la voie dangereuse des frais inutiles et des efforts vaniteux. À quoi bon faire admirer au public les dispositions monumentales d’un bâtiment trop coûteux, la finesse précieuse d’un animal de parade, le ridicule vernis d’un matériel de fantaisie ? Ce que coûtent ces puériles inutilités serait mieux dépensé en travaux productifs, en agens de fertilité. On ne doit s’engouer non plus ni pour telle race de bétail, ni pour tel assolement, ni pour telle méthode. Et qu’on nous permette, à ce propos, d’entrer au cœur même de la question. Lorsqu’un homme qui s’est peu occupé d’agriculture pratique prend enfin la détermination de diriger la culture de ses terres, il obéit trop souvent, si ce n’est à une idée fixe, du moins à une préférence que ses lectures ou son esprit lui ont inspirée d’une manière un peu abstraite. Au lieu de consulter exclusivement le climat, le sol, les conditions économiques du pays où le domaine se trouve situé, il se préoccupe outre mesure de ses idées théoriques. La jachère, humble mais parfois utile, est traitée de routine et abandonnée là où elle devrait rester quelque temps encore la base de tout progrès ; les races communes d’animaux domestiques sont méprisées et tenues pour peu dignes d’une culture intelligente ; on introduit le durham et le dishley là où ne peuvent vivre que de rustiques aubrac et de sobres solognots ; on veut, en un mot, par un zèle intempestif, arriver du premier coup à la perfection[1]. Là est le danger, car c’est le bénéfice et non pas la perfection théorique qu’il faut poursuivre. Que l’on consulte à cet égard, en même temps que l’expérience personnelle, les rapports publiés tous les ans sur les

  1. Il ne faut pas seulement se préoccuper des vraies nécessités du pays où est située la ferme que l’on exploite ; quelquefois même il faut aussi en subir et en respecter les préjugés. Tout le monde sait que la race porcine de Normandie est une race mauvaise, très chargée d’os, et d’un engraissement difficile : eh bien ! nous connaissons des propriétaires qui, après avoir introduit comme améliorateurs sur leurs domaines des verrats de race anglaise, ont trouvé plus sage d’en revenir à l’affreuse race du pays. Ces propriétaires se livraient à l’élève des petits cochons, et ils ne pouvaient plus bien vendre leurs produits parce que ceux-ci avaient d’autres formes que les formes auxquelles sont habitués les acheteurs de la localité.