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départemens de l’Aisne, de l’Aube, de l’Eure, d’Eure-et-Loir, de la Loire-Inférieure, etc., dont les conditions agricoles sont plus régulières que celles qui règnent dans le midi de la France.

À première vue, le métayage semble être le summum de la perfection économique dans la solidarité qui unit les intérêts du cultivateur et les droits du propriétaire. L’un et l’autre, avec ce genre de contrat, souscrivent une véritable association, et s’unissent par une sorte de lien qui procède de la chose mise en commun entre eux. On sait de quel amour vrai la plupart des propriétaires chérissent la terre qu’ils possèdent : comment ne s’attacheraient-ils pas un peu à ceux qui vivent sur cette terre, de cette terre et pour cette terre ? Et puis, le métayage résultant principalement de la difficulté du louage pur et simple, les changemens de personnes sont, dans les provinces qui le pratiquent, beaucoup plus rares que partout ailleurs. Nul ne vient du dehors faire concurrence aux habitans du pays. Les acquéreurs nouveaux ne se présentent pas volontiers, parce qu’il s’agit là d’un genre d’exploitation qu’ils ignorent et qu’ils redoutent ; les entrepreneurs étrangers ne viennent guère davantage, parce que tout homme qui possède un capital médiocre, avec un peu d’intelligence et d’énergie, préfère l’indépendance du fermier à la demi-domesticité du métayer. Aussi ce sont d’ordinaire les mêmes familles qui possèdent et les mêmes familles qui cultivent les mêmes terres de temps immémorial dans les pays de métayage. Intimité plus grande, juste solidarité et partage proportionnellement équitable des produits obtenus par un commun concours, tel est le beau côté du métayage[1].

Malheureusement ce mode de culture a de graves inconvéniens. C’est, pour le propriétaire, une perpétuelle incertitude du revenu, pour le fermier une fréquente tentation d’improbité, et pour le pays une répugnance presque insurmontable du propriétaire et du cultivateur à faire au sol les généreuses avances qu’exige toute bonne exploitation. L’incertitude du revenu n’est pas un inconvénient qui doive être regardé comme minime. L’importance de la part perçue par le possesseur du sol dépendant chaque année de la masse des récoltes et du prix qu’on en obtient, la différence peut, lorsque sur-

  1. Les proportions réservées au maître ou au cultivateur varient suivant les pays et les circonstances ; elles changent avec la somme de concours que chacun apporte à l’œuvre commune. Si le métayer a beaucoup de travail à faire, et encore s’il fournit en totalité ou en partie ses instrumens de culture, sa part doit s’élever davantage. Si au contraire le propriétaire fait l’avance des instrumens, du bétail, des semences, et si sa terre possède naturellement une fécondité telle que les récoltes en soient presque toujours abondantes, il a droit dans le partage à une part plus considérable. Le métayage ne peut donc pas être et n’est pas constamment une exploitation à moitié fruits ; il est seulement une exploitation à partage proportionnel des charges et des récoltes.