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Pendant plus de cent années, ce mur fut une fortification danoise contre les attaques du midi, jusqu’au moment où la reine Thyra construisit elle-même un peu plus au nord un autre mur plus formidable encore, le fameux Dannevirke, que des marais impraticables reliaient vers l’ouest au pays des Frisons. Veut-on vers la fin du IXe siècle un autre témoin de la frontière nationale danoise : ce sera le Norvégien Other, lequel fit alors deux voyages à l’extrême nord, et en laissa le récit à Alfred le Grand, roi des Anglo-Saxons, qui nous l’a conservé ; il dit formellement du port de Hedeby (aujourd’hui la ville de Slesvig) qu’il appartient aux Danois. Tous les anciens écrivains islandais des XIIIe, et XIVe siècles comprennent sous le nom général de Danemark tout le pays jusqu’à la limite septentrionale du Holstein. Des inscriptions runiques, probablement du Xe siècle, ont été trouvées sur le territoire entre le Dannevirke de la reine Thyra et le Kurvirke de Godfred ; les formules et le style de ces inscriptions offrent une parfaite ressemblance avec l’ancienne langue du Nord, et point du tout avec l’idiome de l’Allemagne. Ces inscriptions sont gravées sur des pierres funéraires : les noms propres qui y sont inscrits se retrouvent encore dans le Jutland méridional. Au temps même où les envahissemens de l’Allemagne violaient la frontière danoise, le droit historique était rappelé par l’inscription qu’on lisait au-dessus de la porte de Rendsbourg, du côté de l’Allemagne : Eidora Romani terminus imperii, inscription qui n’a disparu qu’au lendemain de la dissolution de l’empire allemand, quand le gouvernement danois jugea superflu de rappeler cette vérité historique et nationale.

L’histoire du droit se trouve entièrement d’accord avec tant d’autres témoignages. En 1413, le roi de Danemark, Éric de Poméranie, avait fait proclamer par le parlement danois que les ducs du Jutland méridional avaient forfait leur fief à cause de félonie. Une guerre éclata. Pour mettre fin au désaccord, on convint des deux côtés de s’en rapporter à l’arbitrage de l’empereur Sigismond. Et comme les ducs prétendaient alors déjà que leur fief formait un pays séparé, le roi Eric leur opposa, entre autres argumens, que les lois et le droit du Jutland méridional étaient les mêmes que ceux du Jutland septentrional et de tout le Danemark, et que la cour centrale ou landsthing du Jutland septentrional aussi bien que la cour suprême du royaume étaient pour les tribunaux du Jutland méridional des instances d’appel. L’empereur Sigismond prononça lui-même, dans une déclaration du 28 juin 1424, que tout le Jutland méridional, avec la forêt danoise au sud-est de la province (Danske skov en danois, dänisch-wold en plat-allemand), avec l’île d’Als et les districts frisons, appartenait au royaume de Danemark. Un siècle plus tard, la cour camérale de l’empire allemand prétendit que l’évêché du Slesvig