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qui se reconnaît à une langue dont les caractères sont vraiment distincts, et qui a obtenu enfin cette consécration politique de former de l’aveu de tous un ou plusieurs états souverains, doit être respectée dans ses fractions comme dans son ensemble ; on doit la traiter comme une sœur. Qu’est-ce que la monarchie souveraine de Danemark, sinon une fraction importante de la famille Scandinave et son avant-poste en face des Allemands ? Que les deux peuples aient une origine commune au berceau de la grande race germanique, cela est certain ; mais ils se sont séparés pour l’immigration, leurs langues et leurs génies sont devenus différens ; des caractères particuliers font reconnaître les idiomes Scandinaves[1] et les distinguent de tous les dialectes allemands ; le génie du Nord est plus pratique et plus simple, sans être moins héroïque ou moins élevé. Dans l’histoire, les Scandinaves ont eu certes un assez grand rôle, qui ne se confond pas avec l’épopée tudesque ; leur énergie native a plus d’une fois ravivé les premiers temps du moyen âge ; elle leur assigne encore aujourd’hui le devoir d’une résistance à plusieurs égards nécessaire pour l’équilibre de l’Europe.

Cette énergie avait sommeillé pendant le XVIIIe siècle : c’était, là comme ailleurs, le temps d’une diffusion intellectuelle et morale qui, si elle avait persisté après avoir donné ses fruits, menaçait d’étouffer dans une promiscuité douteuse les nobles idées de patrie et de nationalité. Heureusement les dernières années du siècle virent se réveiller dans presque chacune des nations de l’Europe le sentiment généreux d’une personnalité ayant conscience de ses devoirs non moins que de ses droits ; ce mouvement se produisit dans le Nord comme dans le reste de l’Europe, et le Danemark en particulier en eut conscience vis-à-vis des Allemands. Dès le milieu même du siècle, un grand poète dramatique Holberg avait exprimé vivement l’antipathie des deux caractères. Fondateur du théâtre dans le Nord, il faisait l’éducation politique et morale de la bourgeoisie en livrant à sa risée sur la scène les types allemands, sous le respect desquels elle se tenait encore courbée, soit que, dans son Didrik terreur des hommes et dans son Jakob von Thyboe, il tournât en ridicule le soldat et l’officier allemands, brutaux, fanfarons, ivrognes et grossiers, soit que, dans son Ulysse d’Ithaque, il fit gaiement justice des misérables compositions dramatiques dont l’Allemagne se contentait et qu’elle imposait à ses voisins. — Le germanisme eut sous l’important ministère du réformateur Struensée un dernier moment de triomphe, et puis la réaction commença : une loi importante sur le droit des nationaux, et qui date du 15 janvier

  1. Il y en a trois surtout, la postposition de l’article, la formation des verbes passifs et la désinence constante de l’infinitif par une voyelle, caractères qui ne se retrouvent ni dans le gothique ni dans l’allemand.