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Prit-il en effet une part active à cette déplorable insurrection ? Peut-être, emporté par ses ardeurs mystiques, se mêla-t-il effectivement à une lutte insensée : dans ce cas, il eut tort. L’histoire est là qui prouve que toute insurrection qui n’a point pour base un principe est fatalement frappée de mort : juin 1848 l’a affirmé une fois de plus.

Attiré à la tribune[1] pour répondre à une parole qui l’avait nominativement désigné dans le cours des orageux débats sur la loi du 31 mai 1850, de Flotte répliqua avec un calme et une profondeur dont ses adversaires furent surpris, car, ils voyaient en lui je ne sais quel ogre rouge toujours prêt à la lutte et ne vociférant que des appels de haine. Loin de là, il était la douceur même. Déjà auparavant[2] il avait prononcé une phrase qui avait donné à penser aux esprits les plus prévenus. « Il y a quelques jours, dit-il, il était dans cette enceinte question de la loi de déportation. On parlait de l’insalubrité des îles de l’Océanie ; quelqu’un se mit à dire que la population diminuait avec rapidité. Si c’était à l’insalubrité qu’était due cette dépopulation, l’insalubrité du climat n’eût pas permis à la population de croître. Il n’en est pas ainsi : la population des îles de l’Océanie meurt, parce qu’elle est privée d’autorité. En effet, un peuple doit avoir un ensemble d’idées, une commune mesure pour juger les actions des hommes, et c’est cette commune mesure acceptée de tous qui est l’autorité. » De telles paroles étonnaient, faisaient réfléchir, et s’oubliaient ensuite malheureusement au milieu de ces combats parlementaires où deux partis extrêmes s’attaquaient sans relâche en s’écriant chacun de son côté : « C’est moi qui suis la société ! » De Flotte s’affligeait sincèrement de cet état de choses, et, répondant à des attaques directes, il termina ainsi : « Je vois avec douleur que dans cette assemblée toutes les questions qui tendent à remonter aux principes mêmes, que la manière de poser les questions de façon à les ramener aux principes, ne sont pas acceptées par vous. Il y a là une cause de difficultés énormes pour le gouvernement des hommes. Tant que vous ne vous occuperez pas de la question de principe, votre gouvernement aura toujours, quoi que vous fassiez, l’air d’un gouvernement de fait, d’un gouvernement de parti. »

Sa carrière législative fut violemment brisée par les événemens du 2 décembre 1851. Il était parmi ceux qui résistèrent, et le bruit de sa mort courut même un soir dans Paris. Porté sur les listes de proscription, mais ne voulant point quitter la France, il entra sous un nom supposé dans une administration de chemin de fer, où, grâce

  1. Séance du 25 mai 1850.
  2. Séance du 21 mai 1850.