Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une situation qui les dominait ; derrière, Cosenz prêt à se laisser tomber sur eux du haut de la montagne qu’il occupait, en face d’eux Garibaldi avec des troupes toutes chaudes et toutes gonflées encore de la prise de Reggio. La position n’était pas tenable ; ils le comprirent et mirent bas les armes, livrant du même coup la petite forteresse de Punta-del-Pezzo, ce qui entraînait aussi la perte du fort d’Alta-Fiumara.

Désarmés, découragés, lassés de leurs marches inutiles, humiliés d’avoir été vaincus sans combat par le seul fait des positions ineptes que leurs chefs avaient choisies, les troupes de Briganti et de Melendez se mirent en retraite par la route, — elle est unique, — qui passe près de Torre-Cavallo et traverse Scylla. Les garnisons de ces deux forteresses, dont la première n’est qu’un petit fortin suspendu entre deux rochers, voyant leurs camarades s’en aller en désordre, sans armes, sans artillerie, prirent peur à l’idée de leur abandon prochain ; le découragement, qui gagne si vite dans la vie fastidieuse des places fortes, se mit parmi elles. Avant même qu’on les eût attaquées, elles abandonnèrent leur poste, et, sans qu’on la leur eût demandée, offrirent une capitulation qu’on se hâta d’accepter. L’axiome audaces foriuna juvat reçut là une éclatante et nouvelle consécration. Garibaldi avait quitté la Sicile le 19 août, au milieu de la nuit ; le 23 au soir, il avait pris Reggio, avait désarmé deux brigades napolitaines, et il était maître, sans coup férir, des forts, d’Alta-Fiumara, Punta-del-Pezzo, Torre-Cavallo et Scylla. Le détroit était à lui, la marine napolitaine, absolument annihilée, était réduite à s’abriter prudemment sous la citadelle même de Messine, et le terrible passage tant redouté pour notre armée ne devenait plus qu’une courte promenade en mer. Ulysse avait conjuré Charybde et Scylla.

De ce moment, on ne se gêna plus sur la côte sicilienne, et de Taormina au Phare, de Palerme à Melazzo, on se prépara ouvertement à franchir le détroit et à descendre en Calabre. Des lacs intérieurs du Phare, on fit sortir les barques qu’on rangea devant la ville même, sur îa grève, toutes gréées et prêtes à recevoir les hommes ; à Messine, on agissait plus simplement encore : des navires à vapeur étaient amarrés aux quais, et nos soldats y montaient, en plein jour, au son des trompettes et sous les canons mêmes de la citadelle, qui cette fois gardait le silence. Quant aux frégates napolitaines, qui, même encore à cette heure et en agissant avec hardiesse, auraient pu nous causer de très sérieux dommages et couler bas nos bateaux de transport, on ne savait ce qu’elles étaient devenues. Avaient-elles doublé la Sicile entière ? avaient-elles profité de la nuit pour franchir la passe du détroit ? Nul parmi nous n’aurait pu le dire ; mais