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mais nul bruit lointain ne vint jusqu’à moi, et je n’entendais que la rumeur de la grande ville qui respirait à mes pieds. Il me sembla que deux troupes d’hommes venant en sens inverse s’arrêtaient en face l’une de l’autre : cette halte dura longtemps ; puis la troupe qui venait du midi, de Reggio vers Naples, se remit en mouvement, continua sa route, et disparut derrière un pli de terrain. Je me fis un nombre incalculable de questions auxquelles je ne. sus rien répondre. Je restai là, regardant toujours et ne comprenant rien, jusqu’à ce que le soleil abattu derrière la Sicile eût projeté sur le détroit l’ombre crépusculaire des grandes montagnes ; j’allai au quartier-général, et je m’informai ; on ne savait rien de nouveau.

Le 23, à cinq heures du matin, on vint me communiquer la dépêche suivante, arrivée au milieu de la nuit : « Le dictateur au général Sirtori. Les deux brigades Melendez et Briganti se sont rendues à discrétion. Nous sommes maîtres de leur artillerie, de leurs armes, de leurs bêtes de somme, de leur matériel et du fort de Punta-del-Pezzo. » La veille, du haut de mon observatoire, j’avais assisté aux marches et aux pourparlers qui avaient amené ce résultat. Nos musiques se promenèrent de plus belle, on réillumina, on recria vive l’Italie ! et on regrogna plus fort.

Voici ce qui s’était passé. Après la prise de Reggio, Garibaldi s’était mis en marche par la montagne pour aller attaquer le général Briganti, campé à Villa-San-Giovani ; chemin faisant, il avait aperçu la brigade Melendez, et n’avait même pas daigné s’arrêter pour répondre à son feu ; on avait passé outre. Pendant ce temps, Missori, ayant pris les grands devans, ainsi que disent les veneurs, était allé choisir une position qui lui permettait d’attaquer les Napolitains par le flanc, tandis que le dictateur leur offrait la bataille de front. Cette manœuvre habile n’avait cependant point paru encore suffisante à Garibaldi, et par son ordre le général Cosenz, embarqué nuitamment au Phare, débarqué avant le jour entre Scylla et Bagnara, avait forcé la position de Solano, et par une marche si rapidement. menée, qu’elle resta ignorée des Napolitains, était venu se préparer au combat sur leurs derrières. Avant de commencer la lutte contre les troupes royales, Garibaldi fit connaître les dispositions qu’il avait prises aux généraux Melendez et Briganti, qui s’étaient rejoints. Trois fois ils refusèrent les offres de capitulation que leur faisait Garibaldi ; celui-ci n’était pas pressé ; il pouvait attendre, il se coucha sous un arbre et s’endormit. À son réveil, il envoya de nouveau un aide-de-camp en parlementaire aux généraux napolitains, leur disant que si dans une demi-heure ils n’étaient pas décidés à se rendre, il ferait donner le signal de l’attaque. Melendez et Briganti ne pouvaient se faire aucune illusion : à droite, ils avaient la mer ; à gauche, Missori