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les Hindous, le dieu Sourya, fils de Kasyapa et d’Aditi, ne lance que des flèches empoisonnées. » Ce fut sous un figuier, à l’ombre d’un toit improvisé avec des tiges de maïs liées entre elles, que je déjeunai en compagnie du commandant (depuis colonel) Louis Wincler, auquel j’étais venu serrer la main. À Venise, le 18 mars 1848, lieutenant autrichien dans une compagnie de Croates, Louis Wincler s’était résolument jeté devant ses hommes prêts à faire feu sur la foule et leur avait crié : « Vous me tuerez avant de tirer sur ce peuple sans armes ! » Dès lors il avait quitté le service de la maison de Habsbourg et s’était consacré aux libres causes de l’indépendance, où le poussaient son intelligence, son cœur généreux et la fermeté de la grande race hongroise à laquelle il appartient. Quand le gouvernement provisoire de Venise, représenté par Manin, Graziani et Cavedalis[1], décréta la formation d’une légion magyare, ce fut naturellement à Wincler qu’on en offrit le commandement. Son énergie, sa bravoure et ses remarquables aptitudes militaires rendirent d’éminens services pendant ce siège mémorable, qui aurait dû valoir à Venise une liberté qu’elle a méritée depuis longtemps. De ce jour, Wincler n’a point démenti son dévouement ; partout où un peuple a crié : « Liberté, » partout où l’on a attaqué cette préfecture de police qu’on appelle le gouvernement autrichien, il a été présent, et ceux qui l’ont vu passer près des murs de Capoue, une balle au front, aveuglé par le sang, sur un cheval blessé de trois coups de feu, savent comment il comprend son rôle de volontaire de l’indépendance.

Après avoir fait une visite au général Orsini, commandant supérieur de l’artillerie, qui, avant l’attaque de Palerme, fit cette singulière marche sur Corleone par laquelle Bosco et ses Napolitains se laissèrent duper d’une façon si plaisante, je parcourus les ouvrages du Phare : ils consistaient en plusieurs solides batteries armées de canons de gros calibre, et qui étaient parfaitement en mesure de répondre aux canonnades lointaines dirigées sur elles par les frégates et les forteresses de terre ferme ; mais ces batteries auraient-elles pu résister à un débarquement appuyé par des navires embossés près du rivage ? J’en doute. La basse grève du Phare est facilement abordable pour des bateaux plats ; elle était sans défense du côté de la Méditerranée, protégée seulement par nos troupes qu’un combat d’infanterie eût forcées de se montrer à découvert,

  1. Le décret, daté du 23 octobre 1848, était précédé du protocole suivant : « Considérant que l’Italie et la Hongrie doivent faire cause commune parce qu’elles poursuivent le même but, l’indépendance nationale, et qu’il y a opportunité à manifester ouvertement la fraternité qui règne entre les deux nations, etc. » Documens et Pièces authentiques laissés par Manin, Planat de La Faye, tome Ier, p. 473.