Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, pour empêcher Cicéron de reconstruire sa maison, Clodius, qui l’avait fait déposséder, en consacra l’emplacement, et y attacha le droit de refuge, ce dont Cicéron se moqua beaucoup à son retour de l’exil. Sous Tibère, on vit plusieurs cités de l’Asie-Mineure demander le maintien de leurs asiles, que leur contestaient les magistrats romains, attendu que ces asiles ne servaient plus de garantie que contre la justice, les débiteurs y trouvant une retraite contre leurs créanciers, les meurtriers contre leurs juges, les esclaves contre leurs maîtres, les séditieux contre la force publique. Ces villes défendaient des privilèges abusifs, qui leur profitaient en attirant beaucoup de monde dans leurs murs. Les unes en faisaient commerce, les autres y tenaient par patriotisme, comme à une institution antique qui rappelait leur autonomie. Le sénat de Rome, par un sage tempérament, confirma le droit en le restreignant et le réglant. Depuis lors, l’extension des lois romaines sur toute la surface de l’empire fit perdre aux asiles païens presque tout leur crédit.

Le christianisme rétablit le droit dans sa force première en l’appliquant aux sanctuaires des églises et aux tombeaux des saints. Les églises remplacèrent les temples comme lieux de refuge, avec cette différence notable que le prêtre païen, la plupart du temps isolé, était réduit à de vaines protestations contre les violateurs de l’asile, tandis que l’immunité ecclésiastique fut défendue par un corps puissant, armé d’une loi religieuse qu’il ne craignait pas d’opposer, quand il en était besoin, à la loi civile. À cela se joignit l’orgueil des évêques, leur prétention d’indépendance ou même de supériorité vis-à-vis des magistrats. Le droit d’asile dans les églises présenta donc le bizarre spectacle d’une institution des sociétés primitives renaissant à une époque d’extrême civilisation et de corruption sociale. Aussi vit-on les sanctuaires chrétiens se peupler de débiteurs poursuivis, de marchands banqueroutiers, de criminels fuyant la justice, de Juifs même et de païens qui affichaient, pour être reçus, un simulacre de conversion dont ils se moquaient en partant. Les lois nous signalent ces abus, qu’elles essaient de déraciner. Un de leurs remèdes est celui-ci : que le Juif sera livré à ses créanciers s’il ne se fait pas baptiser, et que le créancier à qui une église soustrait son débiteur aura une action d’indemnité contre le trésorier personnellement et contre le trésor de l’église. Quant aux réfugiés coupables de crimes, elles n’avaient point clairement défini les catégories, de manière qu’il restait du doute touchant les criminels de lèse-majesté. Eutrope, qui voyait par là ses ennemis lui échapper, se hâta de remanier les lois sur le droit d’asile, afin qu’il ne se présentât plus à l’avenir d’affaire pareille à celle de Pentadia et de ses amis. Voici ce qu’il fit statuer à nouveau par un décret impérial.