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troupes royales. » Türr obéit, se jette sur la caserne et la trouve vide ; le bataillon était parti depuis deux heures pour Catane. Et qu’on ne répète pas ce vieux lieu commun de trahison à l’aide duquel on cherche à tout expliquer. Personne, quand on quitta Gènes, pas même Garibaldi, ne savait sur quel point de la Sicile on aborderait ; on s’en était remis au hasard, le dieu des audacieux. C’est du bonheur, c’est de la chance, disons-nous en souriant ; la masse de peuple italien ne cherche pas si loin, elle dit simplement : c’est un miracle ! Des hommes qui ne sont point des sots m’ont raconté sérieusement que la casaque rouge qu’il porte, simple casaque de matelot, est une chemise enchantée ; il la secoue après la bataille, et des balles en tombent qu’il n’a même pas senties. « Il est invulnérable, me disait une grande dame de la Basilicate, parce qu’il a été vacciné avec une ostie consacrée. » On affirme l’avoir rencontré en plusieurs endroits à la fois ; ceux qui, à la bataille du Vulturne, ont vu avec quelle inexplicable rapidité, sur une ligne de combat de plus de trois lieues, il se montrait tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et toujours où l’on avait besoin de lui, admettront peut-être, avec les croyans, qu’il est doué du don d’ubiquité. La légende s’empare non-seulement de sa vie, mais elle remonte encore jusqu’à ses ascendans pour les poétiser. Les Palermitains n’ont pas changé son nom à la manière des Calabrais, qui, entraînés par les exigences de leur patois, ont fait Carobardo de Garibaldi, mais pour lui donner une origine sainte et presque miraculeuse : ils prétendent que le mot Garibaldi est une dénomination corrompue que l’usage a insensiblement viciée, et que le vrai nom du libérateur italien est Sinibaldi. Or il faut savoir que sainte Rosalie, la patronne adorée de Palerme, où jamais elle n’a refusé un miracle, appartenait par son père à la famille des Sinibaldi. Jamais les d’Hoziers, les Colombières, les Cherins, n’ont eu de telles flatteries pour les souverains auxquels ils inventaient des généalogies héroïques.

Quant à lui, il passe insensible au milieu de ces adorations et de ces fables, l’œil toujours fixé vers le but suprême où tendent ses actions, ses pensées et ses rêves ? Il sait qu’il est sympathique, et comment ne le serait-il pas ? Tout ce qui, dans ce triste monde, aime la vertu, la loyauté, le courage et le désintéressement, ne doit-il pas regarder avec intérêt de son côté. Tous ceux qui ont encore foi dans l’avenir et dans l’humanité ont fait des vœux pour lui. Chaque peuple lui a envoyé des secours, et il aurait pu diviser son armée par corps de nation et avoir une légion de tout pays, comme il eut la légion hongroise, de glorieuse mémoire. Si toutes les nations l’ont acclamé, il faut cependant dire qu’il ne les aime pas toutes à un égal degré : je crois même qu’il a peu de goût pour la France, à